Le Retour du docteur Mabuse
Premier Mabuse post-Lang, Le Retour du docteur Mabuse est l’œuvre d’Harald Reinl. Si l’Autrichien souligne tout ce qu’il doit à son illustre prédécesseur, il ne signe, en fait, qu’un médiocre film d’espionnage rythmé mais assez grotesque.
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Affiche du
Retour du docteur Mabuse (Harald Reinl, 1961)
Si le dernier opus langien, Le Diabolique docteur Mabuse (1960), ne s’inscrivait assurément pas parmi les chefs d’œuvre de l’immense réalisateur germanique – souffrant notamment de l’interprétation extrêmement faible de Peter Van Eyck dans le rôle du milliardaire américain Henry B. Travers –, il s’agissait tout de même d’un film intéressant et important. En revenant à son personnage fétiche (déjà deux fois mis en scène dans le diptyque Docteur Mabuse le joueur en 1922 puis dans Le Testament du docteur Mabuse en 1933) du docteur Mabuse, Fritz Lang revisitait, avec un plaisir certain, son cinéma et en profitait pour livrer une réflexion l’état du monde au tournant des années 1950 et 1960 traversé par de nouvelles peurs (le contrôle absolu que les nouvelles technologies permettaient d’exercer sur la société ; le péril atomique). Cela lui permettait de prolonger sa réflexion, qui avait parcourue toute sa carrière, sur le Mal, celui étant plus que jamais réduit à un spectre (celui de Mabuse, donc, mort près de trente ans plus tôt). De ce fait, il décidait de ne point créer un méchant fascinant comme avait pu l’être le premier Mabuse (interprété alors par Rudolf Klein-Rogge). Mais, sentant qu’il tenait un filon (apparemment difficilement épuisable puisqu’on ne comptera pas moins de six Mabuse post-Lang, compte non tenu du Dr. M. de Claude Chabrol en 1990), le producteur Artur Brauner – qui avait relancé la carrière de Lang en lui proposant de tourner « sa » version du diptyque indien soit Le Tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou, tous deux sortis en 1959 – décidait de mettre immédiatement en chantier un autre Mabuse, logiquement nommé Le Retour du docteur Mabuse (1961). Lang, sentant le projet sans intérêt et ayant épuisé toutes les ressources de son héros, se retirait immédiatement de l’aventure et le film était confié à l’autrichien Harald Reinl dont la trace laissée dans l’histoire du cinéma est à peu près aussi nulle que celle de son prédécesseur est fondamentale.
Maria Sabrehm (Daliah
Lavi)
et le commissaire Lohmann (Gert Fröbe)
Hors même le lourd passé cinématographique du docteur Mabuse, on comprend aisément le problème d’un tel film : peut-il se construire sur la seule référence à un méchant épuisé (et construit comme tel par Lang dans Le Diabolique docteur Mabuse), fût-il exceptionnel ? La réponse, Lang l’avait bien senti, est négative. Mais l’œuvre de Reinl n’en surjoue pas moins du mythe de Mabuse, toutes époques confondues, au point que le réalisateur reprend presque exactement, mais sans guère de talent, des scènes clés du Testament du docteur Mabuse (1933) – de manière curieuse, le personnage joué par Gert Fröbe, assez convaincant, ne s’appelle d’ailleurs plus Kras comme dans Le Diabolique docteur Mabuse mais Lohmann soit le nom du commissaire qui était interprété par Otto Wernicke dans M, Le Maudit (1931) et Le Testament du docteur Mabuse. De même, le film surmobilise les éclairages expressionnistes et s’essaie même à récréer des ambiances directement issues d’autres films de Fritz Lang notamment M, Le Maudit, voire Metropolis (1927). Voilà pour l’hommage nécessaire – mais sans doute trop appuyé et guère inspiré – au passé du cinéma dans lequel était né la série des Mabuse. Pour le reste, on a droit à un roman d’espionnage honnête et assez rythmé quoique tiré par un scénario aberrant (le retour du docteur Mabuse – Wolfgang Preiss – s’opère grâce à la possession d’un mystérieux sérum qui permet de contrôler la volonté des hommes) qui multiplie les ficelles énormes et les rebondissements à dormir debout. On remarquera certes que ces dimensions n’étaient pas totalement absent des films de Fritz Lang, le grand réalisateur ayant toujours aimé le serial, mais cela nous était proposé avec une finesse infiniment supérieure, correspondait à une certaine logique et n’était nullement prédominant tant les enjeux posés par les œuvres du maître étaient tout autres. Bref, il n’y a pas grand-chose à sauver de ce Retour du docteur Mabuse. Mais, comme sa durée n’excède pas l’heure et demie, on pourra toujours le considérer comme un agréable divertissement, voire un plaisir coupable. Du reste, au-delà de l’esthétique très spécifique ici mobilisée, il serait plus juste de voir dans ce film une sorte de sous-James Bond, les aventures de l’espion britannique ne devant pas tarder à commencer au grand écran (avec James Bond 007 contre Docteur No de Terence Young en 1962 ; c’est d’ailleurs dans le cadre de cette série avec le rôle d’Auric Goldfinger – dans Goldfinger de Guy Hamilton en 1964 – que Gert Fröbe allait connaître son rôle le plus célèbre). Le film détend quelque peu, donc. Cela justifiera alors qu’on le gratifie d’un petit point d’autant que l’on subodore que les aventures suivantes du docteur Mabuse sont encore bien plus mauvaises (on reviendra bientôt sur celle faite par Harald Reinl en 1962, L’Invisible docteur Mabuse), le nom de certaines (par exemple : Le Docteur Mabuse contre Scotland Yard de Paul May en 1963 ou Les rayons de la mort du docteur Mabuse de Hugo Fregonese et Victor de Santis, en 1964) laissant, en effet, craindre le pire…
Warden Wolf (Fausto Tozzi) et le commissaire Lohmann
Ran
Note de Ran : 1
Le Retour du docteur Mabuse (Harald Reinl, 1961)
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