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Les Désemparés

29 Août 2010 , Rédigé par Ran Publié dans #Critiques de films anciens

Le dernier film américain de Max Ophuls, relativement méconnu. Pourtant celui-ci n’en est pas moins un grand film en permanence situé à la limite de deux genres majeurs de l’Hollywood de l’âge d’or, le film noir et le mélodrame. De plus, la première apparition de James Mason dans Les Désemparés constitue un moment extraordinaire.

 

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Les-Desempares.jpgMartin Donnelly (James Mason) et Lucia Harper (Joan Bennett)

 

Les Désemparés (1949) est un film peu connu d’un réalisateur que je confesse moi-même fort mal connaître, Max Ophüls ; son œuvre figure pourtant au panthéon du cinéma mais sa courte carrière américaine (il ne réalisera que quatre films lors de celle-ci : L’exil en 1947, Lettre d’une inconnue et Caught en 1948 puis Les Désemparés) – il a fait partie de cette colonie de réalisateurs germaniques ayant rejoint Hollywood lors de l’âge d’or des grands studios – n’est pas la plus célébrée de celle-ci, à l’exception, peut-être, de Lettre d’une inconnue. Pourtant Les Désemparés est loin d’être un film inintéressant et mérite bien que l’on s’y attarde quelque peu. Il compte l’histoire d’une mère-courage, Lucia Harper (Joan Bennett – dans un rôle bien différent de ceux que Fritz Lang lui proposait), prise dans une tourmente après qu’elle a essayé d’empêcher la relation entre sa jeune fille Beatrice (Geraldine Brooks) et le crapuleux marchand d’art Ted Darby (Shepperd Strudwick) et que son intervention se soit soldée, in fine, par la mort accidentelle (mais Lucia ne le sait pas) de celui-ci et sa tentative assez malheureuse de se débarrasser du cadavre vite découvert par la police.

Après une vingtaine de minutes, le Mal va prendre une autre figure que celle sans grande envergure de Darby avec l’arrivée de Martin Donnelly (James Mason) en maître-chanteur. Séduisant, charismatique, plein de classe et onctueux dans ses rapports avec toute la petite famille de Lucia, James Mason propose alors une composition ahurissante et prépare ce qui sera son grand rôle de méchant, celui de Philippe Vandamm dans La Mort aux trousses (1959), l’un des plus grands chefs d’œuvres d’Alfred Hitchcock. Assurément ces quelques minutes constituent le meilleur de ces Désemparés. Malheureusement, Donnelly va bien vite abandonner sa posture de pur méchant et devenir un héros positif en tombant amoureux de Lucia (ainsi Joan Bennett retrouve-t-elle un rôle de séductrice et n’est plus réduite – c’est là l’un des thèmes centraux du film – à être seulement une mère mais est, au moins dans le regard de Martin Donnelly, pleinement une femme). Le film n’en devient pour autant pas sans intérêt se situant en permanence à la limite entre le film noir – avec son suspense, le (faux) crime, le rapport constant et obsédant à l’argent, l’utilisation par instants de l’expressionnisme (qui donne au film une atmosphère presque fantastique dans les quelques séquences situées dans la cabane à bateaux) – et le mélodrame avec cette impossible histoire d’amour entre Martin Donnelly et Lucia Harper, chacun vivant à l’intérieur d’une prison, son passé de malfrat pour l’un et sa famille pour l’autre (ce qui permet d’ailleurs d’interroger pleinement le mythe de la famille unie et heureuse et donc un certain puritanisme américain dont Lucia semblait initialement le parangon). Cette oscillation entre ces deux genres majeurs – et il serait tentant mais un peu simpliste de dire que Donnelly est un personnage de film noir quand Lucia serait une héroïne de mélodrame ; néanmoins ces deux personnages portent bien chacun un drame propre[1] – apporte beaucoup aux Désemparés et l’on ne peut qu’admirer l’exposition la détresse de Donnelly (« Ne pensez pas au bien et au mal. Il s’agit d’une personne comme moi, pas comme vous » dira-t-il à Lucia alors que la police a mis la main sur un suspect concernant le meurtre de Darby) et la descente aux enfers de Lucia (obligée de se confronter à un autre monde que le sien – celui des bas-fonds avec ses bars miteux – puis de prêter sur gages ses bijoux), leurs malheurs se croisant mais ne pouvant se rencontrer.

Par ailleurs, on remarque que Max Ophüls avait toutes les qualités requises pour faire une grande carrière américaine. Son film, en effet, est, comme ceux des meilleurs de ses contemporains, riche, dense et très rythmé. En moins de quatre-vingt minutes, il offre nombre de rebondissements qui viennent toujours judicieusement relancer l’action sans que son œuvre ne perde jamais de sa profondeur. On signalera encore, au-delà de la première apparition de James Mason, quelques très belles séquences notamment celle lors de laquelle – dans un silence pesant – Lucia se débarrasse du corps de Darby ou encore le combat entre Donnelly et son ex-associé Nagle (Roy Roberts). Un grand film en somme.

 

Note de Ran : 4

 

Les Désemparés (Max Ophüls, 1949)

 


[1] Au sens plein du terme puisqu’il s’agit à la fois d’un drame social et d’une dramaturgie. Mais le vrai drame du film est bien qu’à la fin, tout recommence (ou continue) comme avant.

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