Mort d'Eric Rohmer

Je ne souhaite certes pas me spécialiser dans l’hommage aux grands disparus du cinéma. Mais, puisque ce blog est dédié à cet art, à son histoire et à son actualité, il me semble judicieux de glisser un petit mot concernant la mort d’Eric Rohmer.
Bien qu’il soit d’une dizaine d’années plus âgé que ceux-là, celui-ci participa avec les Godard, Truffaut, Chabrol,… au renouveau de la critique cinématographique française au cours des années 1950 dans les colonnes des Cahiers du cinéma. Il fit donc partie de cette petite équipe qui permit notamment au cinéma américain de l’âge d’or d’acquérir ses lettres de noblesse – il cosigna d’ailleurs l’un des premiers livres importants sur Alfred Hitchcock avec son compère Claude Chabrol. Il fut également l’un des fers de lance de cette fameuse – quoique critiquée et critiquable mais dont je partage toutefois un grand nombre des présupposés – « politique des auteurs ». Ensuite, comme nombre de ses acolytes de la dite Nouvelle Vague, auteur il le devint avec Le signe du lion (1959) et traça dès lors un sillon très original pendant près d’une cinquantaine d’années – jusqu’aux Amours d’Astrée et de Céladon, son dernier film en 2007. Son cinéma, en effet, était plus qu’aucun autre fondé sur le dialogue et une utilisation particulièrement fine et riche de toutes les ressources de la langue française. Cela n’excluait certes pas un sens affûté des différents éléments techniques du cinéma qu’il s’agisse du cadrage, du montage ou de la lumière – il rédigea d’ailleurs une thèse universitaire sur la lumière dans le Faust (1926) de Friedrich Wilhelm Murnau – mais c’est bien dans la mise en scène du badinage verbal que Rohmer excellait plus que nul autre. A mon sens, il atteignit un sommet avec Ma nuit chez Maud (1969) puis, dans les années 1990, avec ses Contes des quatre saisons[1]. Mais, jusqu’au bout, Eric Rohmer maîtrisa son art comme le prouve notamment son avant-dernier film, Triple agent (2004), qui – peut-être plus qu’aucun autre – interroge les différents pièges et possibilités offerts par le langage.
Malgré cette brillante carrière, Eric Rohmer se fit quelques ennemis dans la critique française. On lui reprocha notamment d’être, à l’évidence, un homme de droite. Cela n’est pas faux mais, à l’exception de quelques films – dont L’Anglaise et le Duc (2001) – il fut le contraire d’un cinéaste politique et jamais, contrairement à nombre de ses homologues de gauche, il n’asséna ses vérités. Surtout, on en faisait l’archétype de l’auteur intellectuel et élitiste. Certes, une certaine culture était indispensable pour goûter tout le charme de ses films. Par contre, aucune concentration n’était véritablement nécessaire – je me souviens avoir regardé plusieurs de ses films dans un grand état de fatigue et avoir passé une fort agréable soirée – pour se laisser aller au pur plaisir du bavardage présent dans chacune de ses œuvres. Ainsi, plus que nul autre, Eric Rohmer savait rendre accessible et agréable les enjeux du pari de Pascal. Bref, je regretterai de ne plus jamais avoir à découvrir et savourer le nouvel opus de ce cinéaste si intelligent.
Ran
[1] Conte de printemps (1990), Conte d’hiver (1991), Conte d’été (1996) et Conte d’automne (1998).
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