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Retour sur Fritz Lang : Le retour en Allemagne, la boucle bouclée ? (3)

17 Décembre 2010 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Autour de Fritz Lang

Fin de ce retour sur la carrière de Fritz Lang. Celle-ci s’achève là où elle avait commencé soit en Allemagne où le metteur en scène tourne ses trois derniers films. Avant quinze dernières années de vie passées entre projets avortés et érection de sa propre statue. Aujourd’hui, regard sur les dernières années du réalisateur.

 

Retour sur Fritz Lang

 

8) Le retour en Allemagne : la boucle bouclée ? (troisième partie)

 

Sommaire actif :

a.Le Diabolique Docteur Mabuse

b.Les projets avortés

c.L’érection de la statue

d.Conclusion : une immense postérité

 

a.Le Diabolique Docteur Mabuse

 

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Affiche du Diabolique Docteur Mabuse (1960)

 

Avec Le Diabolique Docteur Mabuse (1960), Fritz Lang réalise donc son ultime film, produit comme Le Tigre du Bengale (1959) et Le Tombeau Hindou (1959) par Artur Brauner, et revient sur un personnage qu’il avait déjà deux mis en scène dans sa première période allemande, en 1922 (Docteur Mabuse, le joueur) et 1933 (Le Testament du Docteur Mabuse) ; voilà comment il explique ce choix, en 1959, d’abord :

 

                

« Ce n’est pas seulement un policier. J’ai voulu surtout attirer l’attention des spectateurs sur ce docteur Mabuse qui cherche le moyen de provoquer la destruction et le chaos afin d’en profiter. L’intrigue policière me permettait d’éviter le prêche ennuyeux, de mettre plus facilement le public en garde et de lui dire : ceci se passe, pourrait peut-être se passer, mais c’est à vous de conclure et de juger. »

 

  Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; page 225.

 

A Peter Bogdanovich, ensuite :

 

                

« [Artur Brauner] transforma un peu la chose en défi – j’avais l’idée qu’il pourrait être intéressant de montrer un criminel du même type [que le docteur Mabuse], trente ans plus tard et de nouveau en profiter pour dire certaines choses sur notre époque – le danger que notre civilisation ne soit rayée de la planète et qu’à la suite, quelque nouveau règne du crime ne s’instaure. »

 

  Fritz Lang en Amérique, Entretien par Peter Bogdanovich, Paris, Cahiers du cinéma, 1990 ; page 135.

 

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Henry B. Travers (Peter Van Eyck) et Marion Mehil (Dawn Addams)

dans Le Diabolique Docteur Mabuse

 

On ne s’étendra pas outre-mesure[1] sur ce film si ce n’est pour remarquer, d’abord, qu’il constitue une agréable et dynamique intrigue policière, genre que notre auteur maîtrise à la perfection et surtout pour noter deux éléments. D’une part, Le Diabolique Docteur Mabuse semble offrir une parfaite clôture à l’œuvre de Fritz Lang car on y retrouve de nombreux points qu’il a déjà abordés. Au-delà du fait d’offrir une suite à ses deux premiers Mabuse, l’auteur se plaît ainsi à reprendre certaines des séquences du Testament du docteur Mabuse notamment un célèbre meurtre par balle au détour d’un carrefour. De plus le personnage incarnant le mal, Peter Cornelius (Wolfgang Preiss nommé Lupo Prezzo dans le générique[2]) qui se fait passer pour le Docteur Mabuse, est un faux-aveugle qui, en réalité, dispose de mille yeux (comme l’indique le titre original, bien meilleur, Die Tausend Augen des Dr. Mabuse) grâce aux caméras qu’il a fait installer dans un immeuble. Cela renvoie à Hagui[3] (Rudolf Klein-Rogge) qui, dans Les Espions (1928), n’était qu’un faux paralytique contrôlant un vaste réseau criminel. Quant à la technologie moderne, elle est à l’honneur dans l’organisation de Cornelius comme elle l’était déjà dans celle de Mike Lagana (Alexander Scourby) dans Règlement de comptes (1953) dans laquelle le téléphone jouait un rôle prépondérant. Mais, plus que dans ce film, elle est très directement associée au mal et le dispositif – qui évoque clairement le Big Brother du roman de George Orwell, 1984 (1948) – de Cornelius renvoie incontestablement aux grandes peurs de l’époque que sont les régimes totalitaires (le nazisme est dans toutes les mémoires et le monde vit à l’heure de la guerre froide – et de l’espionnage généralisé) et du péril technologique (avec notamment la bombe atomique). Aussi, conformément au vœu de son auteur, le film dépasse-t-il le cadre du simple policier tout en gardant le côté distrayant. D’autre part, Le Diabolique Docteur Mabuse marque l’achèvement de la réflexion de Fritz Lang sur le mal. On l’a vu, les éléments de science-fiction incorporés au film sont connotés négativement à l’inverse de ce que l’on pouvait observer dans les années 1920[4] lorsque le réalisateur avait touché à ce genre avec Metropolis (1927) puis La Femme sur la Lune (1929). Par ailleurs, le metteur en scène ne semble plus éprouver, contrairement à ce qui apparaissait évident dans Docteur Mabuse, le joueur et existait encore partiellement dans un film comme Les Contrebandiers de Moonfleet (1955) avec le personnage de Jeremy Fox (Stewart Granger), aucune fascination à l’égard du mal. Ainsi, il réduit celui-ci à une simple idée – la réapparition d’un mythe que l’on sait mort, le docteur Mabuse – et à des armes techniques (quand le vrai Docteur Mabuse avait des dons quasi-magiques) et montre tout le danger de cette fascination puisque c’est d’une peur irrationnelle (Mabuse ressuscité) que Cornelius tire son pouvoir de nuisance. Aussi faut-il se méfier des apparences (un faux-aveugle), penser que, dans le monde moderne, l’on risque d’être vu à son insu et, in fine, regarder au bon endroit pour combattre le mal. Savoir voir, telle pourrait être la leçon du dernier film de Fritz Lang. Belle conclusion apportée par un maître de l’image.

 

b.Les projets avortés

 

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Peter Cornelius (Wolfgang Preiss – Lupo Prezzo) dans Le Diabolique Docteur Mabuse

 

Il ne faut cependant pas s’y tromper ; Le Diabolique Docteur Mabuse est certes le dernier film de Fritz Lang et cet ultime retour du réalisateur sur son personnage fétiche peut donner l’impression d’un cercle qui se referme. Elle est, en l’occurrence, complètement trompeuse car jamais le vieux metteur en scène n’avait pensé tourner là sa dernière œuvre et celle-ci n’a, dès lors, aucune valeur testamentaire. Si Fritz Lang ne souhaitait plus ni signer de remakes d’œuvres allemandes muettes, ni apporter une nouvelle aventure au docteur Mabuse[5], il eut plusieurs projets au début des années 1960. Il y eut ainsi, en 1960, Unter ausschluss der Öffentlichkeit[6] qui devait raconter l’histoire d’un procureur devant s’occuper d’une affaire concernant l’une de ses anciennes maîtresses. Surtout, entre 1961 et 1963, le réalisateur caressa l’idée d’un film ambitieux et personnel dans lequel il souhaitait montrer sa compréhension des problèmes de la jeunesse de l’époque ; au sujet de ce film et de cette jeunesse, il déclarait ceci en 1962 :

 

               

« Je prépare un film sur la jeunesse moderne. J’y évoquerai les problèmes de cette jeunesse dans le cadre d’une histoire criminelle. Je l’ignore encore mais le film peut être une production anglaise, française ou allemande[7]. Je m’efforce d’être en contact avec mon époque, avec ses problèmes, et cela, je crois, correspond au désir du public.

Nous avons assisté récemment à un certain nombre de performances et d’innovations techniques. A une époque où vous pouvez vous rendre de Londres à New York en six heures et où chaque foyer possède la télévision, tout va désormais plus vite pour tous. La tranquillité et la lenteur d’il y a trente ans ont définitivement disparu, et vous devez en tenir compte une fois pour toutes.

Quant à cette jeunesse moderne, vous découvrez qu’elle a les mêmes sentiments et réagit de la même façon dans tous les pays. Leurs problèmes peuvent être plus graves dans un pays que dans un autre, ils restent néanmoins identiques et vous devez les aborder avec une certaine amitié. La caractéristique de ces jeunes est de vouloir vivre vite. Il faut les décrire avec sympathie et franchise. »

 

  Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; page 226.

 

Ce projet échoua pour des raisons au demeurant assez obscures mais il en reste deux synopsis, l’un datant de décembre 1961 et titré Next week’s murderer (ou Last Logic : murder)[8] et l’autre – beaucoup plus détaillé – d’août 1962 et titré … Und Morgen : Mord[9] ; voici un extrait du premier d’entre eux :

 

                « Le triple contraste entre les opinions de la police qui se prétend objective et indifférente, cette recherche honnête de la jeunesse actuelle, et les principes moraux démodés d’une génération plus âgée qui s’accroche de façon morbide à des concepts surannés, ce triple contraste forme le contenu intellectuel du film. L’action réside dans la recherche du coupable par la police, afin d’éviter que soit accompli un crime trop prévisible, et dans la juxtaposition d’une morale réelle et conventionnelle. »

 

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Fritz Lang sur le tournage de La Femme sur la Lune (1929)

 

Assurément, ce projet de film semblait fort intéressant et parfaitement langien notamment en raison de cette articulation entre la forme policière et le contenu du film. Probablement, en voulant faire montre d’une très grande empathie vis-à-vis de la jeunesse des années 1960 qu’il jugeait mal comprise (notamment quant à son approche qu’il jugeait plus libérée de la sexualité[10]), Fritz Lang commettait-il une certaine erreur que l’on peut assimiler à un refus de vieillir. Il n’en reste pas moins qu’en proposant une double enquête – celle de la police et celle menée par les jeunes – comme dans M, Le Maudit (1931), qu’en intégrant des éléments liés à des faits divers récents et surtout en se penchant, de nouveau, comme dans les années 1940 (avec La Femme au portrait – 1944 – , La Rue rouge – 1945 –, Le Secret derrière la porte – 1948 – et House by the river – 1950) sur la psychologie sur laquelle il avait beaucoup travaillé pour que les recherches les plus récentes soient prises en compte (« Tout est correct » aurait déclaré Fritz Lang à Pierre Rissient à propos du contenu psychologique de …Et, demain : Meurtre ![11]), cette nouvelle œuvre promettait d’être d’une réelle densité. Mais, un temps annoncé dans les journaux corporatifs allemands, le film ne se fit finalement pas – peut-être parce que Fritz Lang n’avait pu obtenir qu’une jeune actrice figurât au générique dans un rôle secondaire, peut-être pour d’autres raisons. On ne peut, en tout état de cause, que déplorer cet échec final. Par la suite, Fritz Lang eut encore l’idée d’un film pour Jeanne Moreau (rencontrée lors du festival de Cannes en 1964) dans lequel elle devait incarner une femme qui « est vivante mais déjà morte, parce qu’il n’y a plus de désir d’amour, plus de désir pour une vie réelle »[12]. Le projet intitulé « Death of a career girl » ne sembla toutefois jamais réellement abouti et échoua définitivement en 1968. Après, si le réalisateur évoquait encore assez souvent l’idée de faire un nouveau film, il semble qu’il s’agissait surtout d’un fantasme car il était désormais très âgé (et malade devenant presque aveugle) et dans une position de plus en plus périphérique par rapport au système de production. Du reste, même si Fritz Lang ne voulait pas le reconnaître, la fatigue et la lassitude s’étaient indubitablement installées.

 

c.L’érection de la statue

 

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Fritz Lang (lui-même), Jeremy Prokosch (Jack Palance), Paul Javal (Michel Piccoli) et Francesca Vanini (Georgia Moll)

dans Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963)

 

Les seize années qui se sont écoulées entre Le Diabolique Docteur Mabuse et la mort de son auteur donnent ainsi l’impression d’une fin de carrière (et de vie) un peu triste. Cela n’est point faux mais il faut encore remarquer que si Fritz Lang ne put tourner de nouveau, il mit à profit cette période pour ériger sa propre statue. Ainsi participe-t-il à de nombreux festivals et rétrospectives consacrées à sa carrière et se délecte d’apparaître comme une légende – « vivante » fait-il toujours préciser dans les programmes[13] – de son art. Il sera ainsi notamment le président du dix-septième festival de Cannes en 1964 (le grand prix étant décerné aux Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy). De plus, il joue, bien sûr, son propre rôle dans Le Mépris (1963), le réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard l’imaginant alors en train de tourner une version de L’Odyssée d’Homère. Par ailleurs, on le voit, dans ce film en train de traverser Cinecittà, troublante image qui lie avec la personne de Fritz Lang les âges d’or des cinémas allemand et américain mais aussi, en raison du décor et de l’auteur, les renouveaux des cinémas italien et français donnant ainsi l’impression que le septième art est comme embrassé dans sa totalité.

 

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Fritz Lang et Jean-Luc Godard dans le documentaire

Le Dinosaure et le bébé (1967 ; réalisation : André S. Labarthe)

 

Fritz Lang donna encore de très nombreuses interviews – d’un intérêt inégal et dans lesquelles il donnait toujours plus de détails concernant sa fuite légendaire d’Allemagne en 1933 – et souvent à de jeunes réalisateurs, montrant par là qu’il entendait faire le lien entre sa génération et la nouvelle. Ainsi s’intéressait-il beaucoup au travail des réalisateurs de la Nouvelle Vague – dont il reconnaissait la qualité[14] même s’il marquait quelques incompréhensions quant à leurs méthodes notamment concernant l’utilisation du son – et cela donna en particulier un extraordinaire documentaire, Le Dinosaure et le bébé, longue interview de Fritz Lang par Jean-Luc Godard datant de 1967. Il y eut également des entretiens avec des réalisateurs américains comme William Friedkin (1974) et surtout Peter Bogdanovich ce qui permit la publication, pour la première fois en 1969, du livre Fritz Lang en Amérique. Certes, cet ouvrage n’offre qu’une modeste réplique au célébrissime Hitchcock/Truffaut de 1966[15] – ainsi Alfred Hitchcock, le « rival » de toujours de Fritz Lang,  aura-t-il eu, sans conteste, vis-à-vis du public, le dernier mot mais concernant leur importance respective dans l’histoire de leur art, le match continue – mais ne manque pas d’intérêt. Il montre, en tout cas, à quel point Fritz Lang était sensible à la reconnaissance en général et à celle de ses pairs en particuliers. Enfin, il contribua activement à la longue monographie[16] que lui consacra sa vieille complice, Lotte H. Eisner, et qui fut publiée pour la première fois en 1976, juste après la mort du réalisateur le 2 août de cette même année à quatre-vingt-cinq ans.

 

d.Conclusion : une immense postérité

 

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Fritz Lang et Thea von Harbou en 1923

 

Malgré quelques controverses tardives – liées notamment à la publication de l’ouvrage de Patrick McGilligan en 1997[17] –, la reconnaissance dont jouit  Fritz Lang près de trente-cinq ans après sa mort est exceptionnelle. Sans aucune contestation, il appartient aux monstres sacrés de l’histoire de son art, de nombreuses publications étant régulièrement consacrées à l’étude de son œuvre alors que bien des réalisateurs font des références plus ou moins directes à ses films. Metropolis est, en raison de son statut mythique et bien que la plupart des critiques ne le considèrent pas (ou plus) comme l’un des principaux chefs d’œuvres de son auteur – notamment en raison de sa conclusion peu satisfaisante et désavouée par Fritz Lang lui-même –, de loin son œuvre la plus citée. Ainsi chaque film ou presque mettant en scène une ville-monde – pensons, par exemple, au Blade Runner (1982) de Ridley Scott ou aux deux Batman (1989 et 1992) de Tim Burton – fait une citation à l’œuvre de Fritz Lang et, en 2001, le japonais Rintaro a réalisé un dessin-animé nommé Metropolis qui s’inspire très clairement du film de Lang auquel déjà, en 1978, le groupe allemand de musique électronique planante Kraftwerk, rendait hommage dans une chanson éponyme. Quant à George Lucas, il crée en 1977 avec l’androïde C-3PO (Anthony Daniels) un robot dont les traits ressemblent à celui mis en scène dans Metropolis.

 

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Metropolis (Rintaro, 2001)

 

Au-delà de ce film, d’autres œuvres de Fritz Lang font l’objet d’hommages divers et constituent des sources d’inspiration. On ne cherchera pas à donner ici une liste complète mais on rappellera tout de même quelques films de réalisateurs postérieurs à Fritz Lang et qui, pour certains, ne l’ont pas connu : L’Œuf du serpent (1977) d’Ingmar Bergman qui reprend l’esthétique des films allemands des années 1920 et qui, situé à la même époque que Docteur Mabuse, le joueur, évoque l’histoire de ce criminel qui mobiliserait une partie de l’énergie de la police ce qui limiterait d’autant les efforts de celle-ci pour mettre un terme aux crimes qui sont mis en scène dans son propre film ; de même, Woody Allen rend à son tour hommage à l’expressionnisme allemand et plus particulièrement à Fritz Lang dans Ombres et brouillard (1992) ; quant à Steven Spielberg, il fait évidemment référence au diptyque Le Tigre du Bengale/Le Tombeau hindou dans la seconde partie des aventures d’Indiana Jones (Harrison Ford), Indiana Jones et Le Temple maudit (1984) ; plus récemment, et de toute autre manière, Wes Anderson avait fait de même dans A bord du Darjeeling Limited (2007) ; auparavant, ce même réalisateur avait fait une citation d’un plan des Contrebandiers de Moonfleet dans Rushmore (1998) ; dans le même film, la trajectoire vengeresse des héros (Jason Schwartzman et Bill Murray) évoque, sous une forme comique, celle de nombreux héros langiens ; on retrouvera également ce motif dans Les Incorruptibles (1987) de Brian De Palma, qui fait irrésistiblement songer à Règlement de comptes, ou dans Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street (2008) de Tim Burton qui rappelle plutôt la seconde partie des Nibelungen (1924), La Vengeance de Kriemhild ; enfin, Claude Chabrol glissera une référence à Fritz Lang dans la quasi-totalité de ses films. On arrêtera ici cette très courte liste qui atteste bien de l’importance de Fritz Lang. On ajoutera encore que M, Le Maudit appartient aux quelques films – avec Cuirassé Potemkine (Sergueï Mikhailovitch Eisenstein, 1925), L’Aurore (Friedrich Wilhelm Murnau, 1927), La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939), Citizen Kane (Orson Welles, 1941), Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958) ou 2001, L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) – considérées comme les plus marquants du cinéma alors que ceux des périodes postérieures du réalisateur ont fait l’objet d’une évidente réévaluation critique au cours des dernières décennies, les histoires du septième art décrivant désormais Fritz Lang comme un auteur majeur tout au long de sa carrière et s’attachant à montrer et les (réelles) évolutions et les (évidentes) constantes de son œuvre.

 

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Abel Rosenberg (David Carradine)

dans L’Œuf du serpent (Ingmar Bergman, 1977)

 

Et, on finira par deux citations ; l’une d’Helmut Nentwig, qui réalisa les décors du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou et qui déclare en 1962 :

 

 

« (…) Au reste, je distingue le Fritz Lang à lunettes et le Fritz Lang à monocle ; avec le premier on peut discuter, faire des suggestions, devant le second on fait silence, il parle alors ex cathedra (…). »

 

              Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; pages 294-296.

 

La seconde de Fritz Lang lui-même tirée de son Dictionnaire :

 

              « Putains – En nous tous, il y a le mal et un metteur en scène doit montrer, exprimer le mal. Qu’est-ce qui nous divertit le plus ? Parler toute une nuit durant d’une putain ou d’une femme tranquille qui ne couche qu’avec son mari ? De la putain, bien sûr. Elles sont plus intéressantes. Que pouvons-nous dire d’une femme tranquille ? C’est une femme tranquille, pas davantage. J’ai l’habitude de dire ceci : il y a seulement deux catégories d’individus, ceux qui sont mauvais et ceux qui sont très mauvais. Mais nous sommes parvenus à un accord et nous appelons les mauvais, les bons ; les très mauvais, les mauvais. »
  Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; page 244.

 

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Fritz Lang (1890-1976)

 

Ran

 

FIN

 

Auparavant : La boucle bouclée (2)

    


[1] Je n’ai pas eu l’occasion de revoir ce film depuis plusieurs années et, malgré ses indéniables qualités, il ne me semble pas appartenir aux œuvres majeures de son auteur.

[2] En fait, Wolfgang Preiss joue différents personnages (Cornelius, Jordan, le docteur Mabuse) qui n’en forment qu’un seul. Pour que le spectateur ne s’en rende pas compte dès le générique, il apparaît son vrai nom pour le personnage de Jordan et sous celui de Lupo Prezzo (qui est son nom italianisé) pour celui de Cornelius.

[3] Ce personnage étant d’ailleurs une sorte de double du docteur Mabuse (Rudolf Klein-Rogge) de Docteur Mabuse, le joueur.

[4] La science-fiction du Diabolique docteur Mabuse apparaît ainsi plus « réaliste », bien moins pure (même s’il y avait déjà de nombreux éléments policiers dans les deux films des années 1920) et surtout beaucoup plus inquiète devant les manifestations du progrès – donc bien dans la lignée des préoccupations du début des années 1960 – que dans Metropolis et dans La Femme sur la Lune. Par ailleurs, les milles yeux du titre original peuvent sonner comme un rappel d’une séquence célèbre de Metropolis.

[5] Artur Brauner en produisit de nombreux (avec souvent des acteurs qui reprenaient le rôle tenu dans Le Diabolique Docteur Mabuse) : Le Retour du docteur Mabuse (Harald Reinl, 1961), L’Invisible Docteur Mabuse (Harald Reinl, 1962), Le Testament du docteur Mabuse – Echec à la brigade criminelle (Werner Klinger, 1962 – c’est là le remake du film de Fritz Lang de 1933), Le Docteur Mabuse contre Scotland Yard (Paul May, 1963), Les rayons de la mort du docteur Mabuse (Hugo Fregonese et Victor de Santis, 1964) et La vengeance du Docteur Mabuse (Jesus "Jess" Franco, 1972). Ceux-ci sont complètement tombés dans l’oubli de même, d’ailleurs, que le Dr. M (1990) de Claude Chabrol qui était un hommage de celui-ci à son maître Fritz Lang.

[6] Synopsis publié dans Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; pages 249-267.

[7] Tourner aux Etats-Unis sera également envisagé.

[8] Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; pages 269-273.

[9] Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; page 275-291.

[10] On retrouve là toute l’attention portée par le réalisateur à l’éducation sexuelle - dont il parle dans son article de 1946 titré Contre la censure ; voir Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; pages 144-147 et Retour sur Fritz Lang : l'abandon des idéaux (1) - et l’importance (ce qui fait le lien avec la psychologie), à ses yeux, d’avoir une sexualité « normale » pour s’épanouir – ce qu’il ne confond aucunement avec une vie (apparemment) vertueuse.

[11] Voir Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; page 329.

[12] Fritz Lang en Amérique, Entretien par Peter Bogdanovich, Paris, Cahiers du cinéma, 1990 ; page 158.

[13] Voir l’ouvrage de Jean-Loup Bourget, Fritz Lang, Ladykiller (Paris, PUF, 2009).

[14] Par contre, dans son Dictionnaire (voir Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 2007 ; pages 238-246), Fritz Lang confiait ne pas avoir aimé L’Avventura (Michelangelo Antonioni, 1960) écrivant notamment ceci : « On me dit [que ce film] veut montrer que la morale est morte. Cela, nous le savons. Il n’y a aucune raison de le montrer. »

L’absence de morale de la société contemporaine et le fait que l’amour, par exemple, prête désormais à rire sont des idées assez obsessionnelles du réalisateur à la fin de sa vie. Il écrivait ainsi, à propos de son projet Death of a career girl : « C’est là que j’écrivis pour la première fois : ‘‘ L’amour est devenu une obscénité’’, et je le fis avec chagrin. Aujourd’hui, c’est devenu trop dangereux même de parler d’amour sur une scène parce que le public se met à rire. » (Fritz Lang en Amérique, Entretien par Peter Bogdanovich, Paris, Cahiers du cinéma, 1990 ; page 158). Il déclare également à Peter Bogdanovich (idem, page 133) :

On n’ose plus parler de la Philosophie de l’Amour comme on n’ose plus parler du Rêve américain – qui n’est plus ce qu’il a été. Au mieux, c’est devenu : ‘‘Comment connaître les hauts et les bas de la Bourse afin de faire fortune ?’’. Ou, pour être très cru – mais j’ai bien peur qu’il y ait quelque chose de vrai dans tout cela – : ‘‘Comment commettre le crime parfait sans se faire prendre ?’’.

De quoi relativiser sa compréhension de la jeunesse (et de la société) moderne…

[15] Hitchcock/Truffaut, Edition définitive, Paris, Gallimard, 1993.

[16] Eisner (Lotte H.), Fritz Lang, Paris, Cahiers du cinéma, 2005.

[17] McGilligan (Patrick), Fritz Lang. The Nature of the Beast, New York, St. Martin’s Press, 1997.

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W
This is for the first time I am getting to read the review of this wonderful novel yet it frightened me with the suspense of the movie. In fact what I loved most was the way the script has attracted the viewers
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R
<br /> <br /> En tout cas, si un jour s'organise une réflexion sur Lang, je serais là !<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> tu m'étonnes<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Merci ! C'est vrai que ça m'a demandé un peu de temps...<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Voilà une série de textes (comme pour Tetro), bien référencés, plutôt fouillés, qu'il est plaisant d'avoir à disposition et qui pourra servir de support à l'occasion d'une réflexion sur Lang ou<br /> de la vision d'un de ses films. Bravo pour ce travail !<br /> <br /> <br /> <br />
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