Tron l'héritage – Le tunnel narratif du Mont-Blanc
Pour dire toute la vérité, Tron l'héritage aurait pu être un moyen métrage plutôt clinquant. Mais le film dure plus de deux heures et souffre d'un double défaut : un scénario très léger et de très nombreux tunnels narratifs.
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Réflexions pointues sur films obtus
Pour dire toute la vérité, Tron l'héritage aurait pu être un moyen métrage plutôt clinquant. Surtout lorsqu'après son arrivée dans le système ("la Grille"), le héros Sam Flynn (Garret Heldund, un authentique monument de fadeur) doit participer à des jeux et notamment une course de motos stupéfiante, rappelant celle qui avait marquée les esprits dans le premier épisode (Steven Lisberger, 1982). Vingt minutes de montagnes russes assez grisantes dotées d'une esthétique à la fois soignée et un peu ringarde, faite d'ondes blanches et de longues lignes lumineuses bleues et oranges parcourant les costumes et les décors. Mais Tron l'héritage dure plus de deux heures.
Garret Heldund
Le film de Joseph Kosinski souffre d'un double défaut qui condamne l'œuvre à l'échec artistique : un scénario très léger et de très nombreux tunnels narratifs. En effet, un film avec une histoire simplissime n'est pas pour autant mauvais tant le cinéma n'est pas conduit par les seuls artifices de sa trame mais par un langage complexe alliant le son et l'image. Mais pour une étrange raison, il semble que le canevas de cette suite de Tron ait été jugé suffisamment obscur pour le charger de longues scènes explicatives. Scènes qui sont parfaitement mal intégrées dans le métrage et donnent lieu à quelques moments involontairement comiques. Ainsi, dans un immeuble ultra-sécurisé, un gardien armé visiblement incompétent, aussi bien physiquement qu'intellectuellement, apparaît d'abord peu concerné puis se lance à la poursuite de l'intrépide Sam Flynn, rentré par effraction. N'écoutant que son courage (il ne fait pas cela pour l'argent, on devine qu'il est mal payé), le gardien n'hésite pas à tirer sur l'opportun. Clairement en difficulté physique (alors que Sam est athlétique), il se retrouve tout de même au sommet du bâtiment, puis sur une grue, qui va servir de plongeoir à l'aventureux casseur. Renonçant à tuer Sam Flynn, notre agent en surpoids décide, pour vaincre son vertige sans doute, de papoter avec le sémillant casse-cou sur quelques éléments de l'histoire. Et le téméraire Sam Flynn, plutôt que de sauter en parachute alors qu'il était déjà en haut du bâtiment depuis une demi-heure, se fera un plaisir de lui expliquer :
- sa situation (fils de Kevin Flynn – Jeff Bridges, héros du premier épisode) ;
- le principe du grand capital (et notamment le fonctionnement d'une société cotée en Bourse avec un directoire, ses actionnaires et la main-mise des actionnaires majoritaires) ;
- la disparition mystérieuse de son père.
Jeff Bridges
Contrairement au spectateur qui s'ennuie déjà, le gardien est ébloui, n'a pas tout compris et implore le jeune homme de ne pas se suicider ! Face à tant de bêtise, il fallait bien que le courageux Sam Flynn s'extirpe du monde réel. Ce sera fait après une demi-douzaine de scènes de dialogues, et notre vaillant héros se retrouvera dans les entrailles d'un I mac de la taille d'une photocopieuse industrielle. Mais plutôt que d'appeler cela vulgairement un "ordinateur", nous parlerons de "The Griiiid/La Grille". Malgré le cours d'économie accéléré subi précédemment, il ne sera fait aucune analogie avec la société libérale contemporaine car les programmes de la Grille, aussi évolués soient-ils, préfèrent vraiment dominer le monde à l'ancienne avec une armée de logiciels déchaînés bien décidés à mettre le monde réel dans la mouise (que nous appellerons "Apocalypse"). Aussi, le software créé par Kevin Flynn, CLU 2.0 (également interprété par Jeff Bridges rajeuni), est un bon gros nazi des familles. CLU avait pour mission de créer le programme parfait et pour cela, il décidera de zigouiller par millions, des entités pouvant sauver l'Humanité de la maladie ET de la religion (sic) : les ISOs (vous noterez l'incohérence de sa démarche). Pendant ce temps-là, ce jeune chien fou de Sam retrouvait son père Kevin coincé lui aussi dans la Grille et, lors d'un dîner 2001 (c'est un dîner qui reprend le décor des dernières scènes du célèbre film de Stanley Kubrick – 1968), ils se raconteront tout un tas de choses assez peu intéressantes comme le montrera la bombe sexuelle qui les accompagne (Olivia Wilde) s'ennuyant à mourir au point d'aller prendre la pose sur le canapé Louis Windows.
Olivia Wilde est jolie quand elle s'ennuie
Parmi les acteurs assez inégaux, Jeff Bridges n'a pas grand-chose à faire pour dominer le casting. Son personnage qui avait donc identifié les deux fléaux (maladie + religion) est devenu un grand malade et une sorte de divinité au sein du système. Ainsi le valeureux Sam est relégué au second plan pour faire place à l'acteur de 61 ans qui s'affronte lui-même en jeune (les effets spéciaux sont malheureusement trop voyants).
Jeff Bridges rajeuni
(et le gros problème des effets spéciaux, ce sont les yeux : sans aucune expression)
On s'étonne que les scénaristes, principaux artisans de la série Lost (créée par J. J. Abrams, 2004 – 2010), aient pu se fourvoyer à ce point dans cette histoire sans intérêt et l'on imagine déjà les scripts-doctors ajouter cette inutile scène se passant dans une discothèque dirigée par Castor/Zeüse (Michael Sheen, complètement lamentable), afin de rappeler l'univers de Matrix Reloaded/Revolutions(Andy et Lana Wachowski, 2003), avec un personnage assez proche de celui campé par Lambert Wilson dans les films précités (le Mérovingien). Cette scène assez grotesque permet également de faire apparaître les célèbres compositeurs de la BO, le groupe Daft Punk qui semble s'être inspiré de la partition de Hans Zimmer pour Inception (Christopher Nolan, 2010).
J'ai déjà vu ça quelque part ...
On conclura en disant que le film illustre parfaitement la définition de "tunnels narratifs" tant ils se multiplient alliant inutilité (l'histoire est à la portée des plus jeunes) et maladresse (ça papote à mort pour définir les enjeux et les mécanismes). Heureusement pour nous, outre la longue partie de jeux, nous aurons droit une mémorable séquence poétique dans laquelle le romantique Sam ne trouve pas de mots pour décrire à la bombe sexuelle la fracassante beauté d'un vrai coucher de soleil. Submergé par l'émotion et le manque de vocabulaire, le réalisateur en pleine mise en abîme, se rattrapera dans le final en moto à la Top Gun (Tony Scott, 1985), pour dévoiler un splendide coucher de soleil de publicité pour compagnie d'assurance-vie.
nolan
"Tu vois, un coucher de soleil, c'est... comment dire ?.. C'est juste... Waouah !..
Genre, tu vois, pfouah ! Y'a pas de mot."
Tron l'héritage (Joseph Kosinski, 2010)
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