Two Lovers
« De l’amour. Nous voulons de l’amour ! » crièrent en chœur les fans de Patrick Sébastien. Ayant largement parlé de violence (Fritz Lang, Stanley Kubrick, les frères Coen), nous décidons d’accéder à leur demande. Petit détour, donc, par un grand film romantique.
De guerre lasse
« Je suis plus un gosse. Je sais que je t’aime. » |
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De Leonard (Joaquin Phoenix) à Michelle (Gwyneth Paltrow), sur le toit de leur immeuble commun avant qu’ils ne fassent l’amour. |
Affiche de Two Lovers (James Gray, 2008)
A aime B qui aime C qui aime D qui ne peut pas s’engager. Configuration classique du jeu amoureux que, jadis, Anton Tchekhov sut traiter avec génie (tout particulièrement dans Les Trois Sœurs en 1900) et à laquelle, en hommage direct au dramaturge russe, Woody Allen s’intéressa aussi (September – 1987). Avec Two Lovers (2008), James Gray offre une magnifique et très subtile variation autour de cette figure. En centrant résolument son propos sur B (Leonard Kraditor – Joaquin Phoenix), quitte à ne faire qu’effleurer (mais avec quel talent !) la complexité émotionnelle de A (Sandra Cohen – Vinessa Shaw) et de C (Michelle Rausch – Gwyneth Paltrow) et à réduire D (Ronald Blatte – Elias Koteas) à un simple fantôme, maléfique. On dira alors de B qu’il est écartelé entre A et C, entre deux amours, ceux de la raison et du cœur. Il n’est pris, en fait, qu’entre la raison sociale et l’amour. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Bien que l’amour « social » soit certes l’un des possibles de l’amour – mais qui, directement, s’oppose à l’amour « amoureux », ceux-ci, dans le film comme dans la vie, ne se rejoignant quasiment jamais. Sauf à se mentir soi-même ce qui, le plus souvent, est le cas (aussi l’amour « social » est-il, de loin, le plus courant car normé et normal…). Mais, B, instruit par l’expérience et romantique en diable (il est dépressif et suicidaire, son premier grand amour – Anne Joyce –, dont on ne saura que bien peu de choses, s’étant enfui), fait, lui, clairement la différence. C est une évidence. Et il aura beau usé des mêmes codes, reproduire des gestes quasiment identiques (mais ne point avoir exactement les mêmes mots…) et brûler ses vaisseaux avec A comme avec C, il n’y a que la seconde qui compte. Ses désirs sont des ordres même quand elle souhaite qu’il joue au parfait ami. Elle est tout pour lui. Il est prêt à tout pour elle, il le prouvera. À l’inverse, il peut se permettre de ne guère tenir compte des attentes de A ou de manquer de sincérité avec elle donc, sans être toutefois ignoble, de se montrer légèrement « immoral » dans le comportement général qu’il adopte à son égard. Mais, bon, puisqu’il a échoué à se suicider, il faut bien tenter de vivre et s’accommoder du jeu social… Et puis, il n’y a pas grand-chose à y faire : A est parfaitement désirable mais ses multiples attentions sont sans réelle importance pour B – si ce n’est que, au-delà du plaisir de la séduction, elles font du bien à son égo (surdéveloppé, comme il se doit, chez un romantique) – quand le moindre texto de C sera toujours un événement d’une extrême intensité lui redonnant toute sa fébrilité d’enfant. Aussi les deux engrenages dans lesquels est pris B sont-ils profondément antagonistes. Et James Gray, par une superbe mise en scène (sur laquelle on ne reviendra pas, cette note se voulant courte – ce qui est fort dommageable tant bien des éléments de ce film sublime appelleraient à de longs développements), sait tout retranscrire de l’ambivalence et des ambigüités de son héros. Dont, surtout, son pur état amoureux.
Michelle (Gwyneth Paltrow) et Leonard (Joaquin Phoenix)
On dira aussi qu’il sait parfaitement rendre compte de la pression sociale se matérialisant, comme toujours chez lui (notamment dans La Nuit nous appartient, son précédent opus, en 2007), par la famille qui enferme et brise. Cela n’est pas faux d’où cette caricature de père (Moni Moshonov), figure consternante de bêtise satisfaite. Mais Two Lovers est, avant tout, un – grand – film d’amour. Et l’une de ses formes est l’amour maternel. Celui-ci peut être total mais connaît également différents possibles. Puisque l’on aime son enfant pour les espoirs que l’on place en lui et pour ce qu’il est. Ce qui, là aussi, ne coïncide presque jamais. Et la mère de B (Isabella Rossellini – qui offre, avec Joaquin Phoenix, peut-être la plus extraordinaire composition de ce film dans lequel les interprètes sont tous particulièrement brillants), qui sent et comprend tout depuis le début, en voyant partir son fils avec C et abandonner une vie qui, socialement, semblait brillamment se réordonnancer, ne manque pas d’être immensément triste mais si heureuse pour celui-ci. Quand, détruit, il doit revenir, puisque C ne veut finalement pas ou plus de lui, elle est tellement soulagée mais absolument bouleversée (comme son fils…). James Gray filme alors cette incroyable confusion des sentiments qui se marque dans un visage. Comme il saisit, tout au long de Two Lovers, plusieurs instants – fragments aussi éternels qu’éphémères – de l’amour absolu et nous donne à voir ses différentes incarnations. Chef-d’œuvre, assurément. Désespéré, forcément.
Ruth (Isabella Rossellini) et Leonard Kraditor
Antoine Rensonnet (Ran)
Note d’Antoine Rensonnet : 5
Two Lovers (James Gray, 2008)
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