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Winchester 73 : le mythe de la conquête

22 Janvier 2010 , Rédigé par Ran Publié dans #Un auteur, une œuvre

Première réunion entre Anthony Mann et James Stewart, Winchester 73 offre, tant par ses personnages que ses situations, une sorte d’archétype – voire d’épure – du western classique hollywoodien. Ce film montre également à quel point ce genre contribue à édifier une mythologie propre aux Etats-Unis.

 

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Winchester 73 (Anthony Mann, 1950) : le mythe de la conquête

 

                         « C’est l’histoire de la Winchester Rifle modèle 1873. L’arme qui conquit l’Ouest. Pour le cow-boy, le hors-la-loi, l’officier de police ou le soldat, la Winchester 73 était un précieux trésor. Un Indien aurait vendu son âme pour l’avoir. »
  Carton inséré dans le générique de Winchester 73


 

 

Anthony MannAnthony Mann (1906-1967)


Quand, en 1950, sort Winchester 73 (Anthony Mann), le western appartient désormais depuis plus d’une décennie aux grands genres hollywoodiens. Ses canons sont désormais bien fixés et le genre commence à connaître une certaine évolution notamment dans ses thématiques. De ce passé et de ce présent du western, Winchester 73 rend largement compte. Mais si le film est aujourd’hui encore si important, c’est aussi parce qu’il marque le début d’une association qui en cinq ans et autant de films – Winchester 73, donc, puis Les affameurs (1952), L’appât (1953), Je suis un aventurier (1954) et L’homme de la plaine (1955) – va offrir au western quelques-uns de ses plus grands chefs d’œuvre : celle du réalisateur Anthony Mann et de l’acteur James Stewart[1]. Le premier est, depuis plusieurs années déjà, l’un des réalisateurs importants d’Hollywood et, comme beaucoup de ses confrères, il navigue entre les genres signant notamment – avec un talent certain – des films noirs (La brigade du suicide en 1947 ou La rue de la mort en 1949). Mais, c’est en tant que réalisateur de westerns qu’il va définitivement s’imposer comme l’un des monstres sacrés de l’âge d’or hollywoodien jusqu’à être considéré – derrière l’immense John Ford – comme l’un des plus grands auteurs de ce genre si important. En fait, dès le début de l’année 1950, il a signé avec La porte du diable (avec Robert Taylor) un western majeur qui renouvelle le genre puisqu’il est le premier – avec La flèche brisée[2] (Delmer Daves) sorti la même année – à évoquer le problème de la destruction des Indiens par les pionniers de la conquête de l’Ouest. Ses cinq westerns interprétés par James Stewart vont donc confirmer qu’Anthony Mann a désormais trouvé sa voie[3]. Le comédien est, lui, l’une des plus grandes stars d’Hollywood. Il a imposé son talent dès la fin des années 1930 en tournant des comédies – dans lesquelles son grand corps et son air naïf faisaient merveille – pour Frank Capra (M. Smith au Sénat, 1939), Ernst Lubitsch (Rendez-vous, 1939) ou George Cukor (Indiscrétions, 1940). Mais sa carrière connaît une interruption durant la guerre lors de laquelle il s’engage comme pilote de bombardiers. Quand il revient et reprend le cours de celle-ci, sa popularité est – logiquement – à son comble puisqu’il est, à la fois, l’image de la star hollywoodienne et de l’Américain modèle. Toutefois, l’homme a été marqué par le conflit et, au-delà du temps qui passe, il devient impossible de lui proposer exactement les mêmes rôles qu’avant la Seconde Guerre mondiale. Ce changement n’est d’ailleurs pas seulement celui de son image de marque ; il est, en effet, probable que l’expérience vécue par Stewart l’a transformé et que l’homme possède désormais en lui une violence qui lui était auparavant inconnue. Cela lui offre de pouvoir jouer des héros complexes et deux réalisateurs[4] – dont il deviendra l’acteur fétiche – sauront particulièrement exploiter les nouvelles dimensions de l’acteur : Alfred Hitchcock – qui, avec Vertigo (1958) lui donnera son plus grand (et plus ambigu) rôle[5] – et, donc, Anthony Mann.

 

Lin McAdam 1Lin McAdam (James Stewart)

 

Mais avant de revenir un peu plus spécifiquement sur le héros joué par James Stewart dans Winchester 73, Lin McAdam, et sur les dimensions particulières de ce film,  encore faut-il remarquer que ce western est une immense réussite formelle ce qui en fait, d’une part, une sorte d’archétype – voire d’épure – de ce qu’est ce genre pendant l’âge d’or hollywoodien et ce qui montre, d’autre part, tout le talent d’Anthony Mann. On retrouve, en effet, dans Winchester 73, la quasi-totalité des situations et des personnages classiques du western. Les situations, tout d’abord. Après le générique – qui voit deux cavaliers qui, dans un paysage immense, s’approchent d’une petite bourgade –, on se retrouve dans une de ces petites villes mythiques de l’Ouest américain : Dodge City[6]. Durant les séquences situées dans cette ville, le spectateur assistera à une scène de saloon, à un concours de tir – décisif pour l’intrigue – puis à une bagarre durant laquelle la Winchester fraîchement remportée par Lin McAdam est dérobée par son frère Dutch Henry Brown (Stephen McNally). Au-delà de ces moments servant à l’exposition puis au début de l’histoire de Winchester 73, le passage à Dodge City permet de voir la vie d’une petite communauté de l’Ouest dans laquelle – malgré les tensions diverses – la loi et l’ordre ont fini par s’imposer grâce à son shérif – qui pour être bonhomme n’en est pas moins ferme et efficace – le légendaire Wyatt Earp (Will Geer) qui tient la ville d’une main de fer dans un gant de velours. Mais le passage à Dodge City n’occupe qu’une partie du film et, par la suite, les péripéties continuent à s’accumuler à un rythme toujours aussi soutenu. On assistera ainsi, dans un petit bar perdu à l’entrée du désert, à une négociation puis à une partie de poker entre Dutch Henry Brown et le trafiquant Joe Lamont (John McIntire) puis à une attaque d’Indiens – avec intervention de la cavalerie – avant une superbe scène de fusillade qui permet d’introduire le personnage de Waco Johnny Dean (Dan Duryea), aux préparatifs d’une attaque de banque entre bandits, à de nouvelles scènes de saloon et de fusillade dans la petite ville de Tascosa avant le duel final dans les montagnes entre Lin McAdam et Dutch Henry Brown.

 

Lin McAdam et Lola MannersLin McAdam et Lola Manners (Shelley Winters)

 

Fantastique accumulation de situations classiques du western qui est donc servie par des personnages très réussis. On croise ainsi un héros de l’Ouest, Wyatt Earp[7], mais aussi un très sympathique et pittoresque sergent de cavalerie, Wiggs (Jay C. Flippen), ou encore une jeune recrue de l’armée, Doan (Tony Curtis dans un de ses premiers rôles importants), alors qu’un rôle tout-à-fait décisif est tenu par l’ami fidèle – et sorte de conscience morale – de Lin McAdam, Frankie « Highspade » (Millard Mitchell). A cette galerie de personnages positifs s’opposent des méchants également hauts en couleurs. Le premier d’entre eux est, bien sûr, Dutch Henry Brown (de son vrai nom Matthew McAdam), frère maudit de Lin qui a tué leur père mais il y a également le trafiquant d’armes Joe Lamont et un raté, lâche et falot, Steve Miller (Charles Drake). Parmi ceux-ci, une mention spéciale doit être décernée à l’extraordinaire Waco Johnny Dean[8], bandit complètement cinglé et hyper-violent qui, arrivé dans le film lors d’une fusillade, prononce cette phrase qui résume bien le personnage : « C’est le Texas ; on fait la fête le samedi soir ». On trouve encore, dans Winchester 73, des Indiens et, même si la question n’est – au contraire de La porte du diable – qu’effleurée, la complexité des rapports entre ceux-ci et les nouveaux venus dans l’Ouest se perçoit notamment au travers des relations entre leur chef – le sculptural et hiératique Young Bull (Rock Hudson) – et Joe Lamont (qui finira scalpé) qui lui vend des armes de mauvaise qualité et est l’incarnation de ces « hommes blancs voleurs ». Seuls les personnages féminins – mais c’est très souvent le cas dans le western – sont sacrifiés dans Winchester 73 ; en fait, ils se résument à la seule Lola Manners (Shelley Winters), une danseuse de bar, à la fois courageuse et contrainte par les hommes (elle sera, un temps, obligée d’accompagner Waco Jean Dean), tombée amoureuse du mauvais (le lâche Steve Miller) avant de finir dans les bras du bon (Lin McAdam). Ce personnage est riche et complexe mais le manque de charisme de son interprète, Shelley Winters – qui n’a vraiment rien d’une femme fatale[9] – pèse sur celui-ci. Il s’agit là d’une des seules limites du film d’Anthony Mann. Car, pour le reste, la réussite est totale. On le voit, le film est d’une richesse foisonnante et sa densité est plus qu’impressionnante puisque Winchester 73 n’excède pas les quatre-vingt-dix minutes. Cela montre certes le talent des scénaristes – Borden Chase et Robert L. Richards – mais surtout la maîtrise du réalisateur qui, avec Raoul Walsh ou Fritz Lang[10], est sans doute l’un de ceux qui sait alors, à Hollywood, le mieux imprimer un rythme soutenu à ses œuvres[11]

 

Lin McAdam2Lin McAdam

 

Mais toutes ses péripéties et ses seconds rôles réussis ne serviraient guère si le film ne trouvait pas, par ailleurs, son unité. Cela est réalisé par le recours aux mythes qu’il s’agisse de celui de l’arme[12] – qui donne son nom au film et dont un carton inséré au début du film rappelle qu’il s’agit de « l’arme qui conquit l’Ouest » – et de celui du héros, le cow-boy Lin McAdam, qui cherche à venger son père tué par son frère Dutch Henry Brown. Deux mythes qui vont immédiatement se réunir puisque, lors du concours organisé à Dodge City, Lin gagne (difficilement), face à son frère, la fameuse arme – c’est-à-dire l’une de ces Winchester modèle 73 dites "une sur mille" car elle vise parfaitement juste. Mais Lin perd rapidement l’arme brillamment remportée car elle est dérobée par Dutch Henry Brown. Celui-ci doit toutefois la céder à Joe Lamont suite à une partie de poker perdue. Lamont est ensuite tué par Young Bull qui s’empare de la précieuse arme. Mais après la défaite des Indiens contre la cavalerie, la Winchester est donnée – Lin est parti trop vite – à Steve Miller qui est contraint de la laisser à Waco Johnny Dean. Celui redonnera – avec l’intention de la récupérer – l’arme à Dutch Henry Brown et, à l’issue de leur duel final, Lin récupère enfin sa Winchester. Ce cycle permet de marier les différents éléments du scénario vus précédemment car ce que le spectateur suit pendant le film, c’est bien la trajectoire tortueuse de l’arme. Lin – même sans le savoir – la suit également avec, toujours, un temps de retard.

 

Lin McAdam et Waco Johnny DeanLin McAdam et Waco Johnny Dean (Dan Duryea)

 

Mais cette arme lui revient bel et bien et c’est en cela que Winchester 73 illustre à quel point le western hollywoodien constitue une cosmogonie américaine. En effet, tous ceux qui touchent l’arme auront un destin commun : une mort brutale. Tous sauf Lin car celui-ci est son possesseur. En quelque sorte, la Winchester 73 représente Excalibur, voire le Graal et Lin est l’équivalent – déplacé dans le contexte de la conquête de l’Ouest – des personnages des récits mythiques de chevalerie. On peut également l’identifier au Héros au sens de la mythologie grecque car s’il est, sans discussion possible, un personnage positif[13], il ne manque pas pour autant de failles. Et son personnage se colore ainsi d’une certaine noirceur[14] – que James Stewart sait si justement incarner à ce moment de sa carrière – qui montre bien que le western est en train d’évoluer. Ainsi, il ne vit que dans l’obsession de se venger de son frère[15] et, si celui-ci a tué son père et figure un parfait salaud, on ne peut manquer de s’interroger sur la moralité de sa quête. Son ami « Highspade » le fera d’ailleurs dans l’un des rares moments d’accalmie du film et lui reprochera de commencer à aimer la chasse à l’homme. Lin niera mais on ne peut que remarquer que celui-ci est capable d’une effrayante violence dès lors qu’il s’agit de son frère. Lors de leurs retrouvailles à Dodge City, on verra ainsi – sous l’effet de la haine accumulée – trembler les mâchoires de Lin et, à Tascosa, il n’hésitera pas à frapper avec férocité Waco Johnny Dean[16] pour obtenir une information. Enfin, c’est froidement, qu’il abattra son frère dans les collines à la fin du film. Ainsi, c’est bien la légende – avec des dimensions critiques qui commencent à percer – de l’Ouest que met en scène Anthony Mann dans son film qui se conclue, naturellement, par l’image de la Winchester 73 dans la main de Lin. L’arme mythique et le héros sont donc enfin réunis[17].

 

GénériqueWinchester 73 (Générique)

 

Ran

 


[1] Les deux hommes tourneront, durant la même période, trois autres films ensemble mais ceux-ci – à la différence de leurs westerns – ne marqueront guère l’histoire du cinéma.

[2] Dont James Stewart est l’interprète principal…

[3] L’homme de l’ouest (1958 ; avec Gary Cooper) le montrera à nouveau.

[4] D’autres – notamment John Ford et Otto Preminger – lui offriront également de très grands rôles.

[5] Voir mes deux textes sur ce film ; James Stewart est le héros de trois autres films d’Alfred Hitchcock (La corde en 1948, Fenêtre sur cour en 1954 et La seconde version de L’homme qui en savait trop en 1956).

[6] Rappelons qu’il s’agit-là du titre original des Conquérants (Michael Curtiz, 1939), l’un des premiers grands westerns à être réalisés lorsque renaît ce genre à Hollywood.

[7] On verra également un autre shérif, Noonan (Ray Teal).

[8] Il est donc incarné par l’excellent Dan Duryea qui, s’il ne trouva jamais de premiers rôles, se fit une spécialité des personnages de salauds notamment pour Fritz Lang (dans Espions sur la Tamise et La femme eu portrait en 1944 et La rue rouge en 1945).

[9] Elle trouvera d’ailleurs ses deux meilleurs rôles – dans La nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) et Lolita

(Stanley Kubrick, 1962) – dans des personnages victimes d’hommes.

[10] Notons que celui-ci avait été pressenti pour réaliser – sur la base d’un autre scénario – Winchester 73.

[11] Sur ce plan-là, on peut affirmer qu’Anthony Mann surpasse John Ford.

[12] On notera que chaque personnage, y compris les jeunes enfants et les Indiens, comprend immédiatement la valeur de l’arme à sa seule vue.

[13] Son habileté et sa gentillesse – notamment à l’égard des enfants ou de Lola Manners – témoignent de sa noblesse.

[14] On notera d’ailleurs que, comme de nombreux héros de westerns, Lin est un ancien sudiste – donc un homme qui a perdu une guerre. Cela ne l’empêche nullement de sympathiser avec le sergent Wiggs.

[15] Légendes toujours : on peut songer à Abel et Caïn ou à Romulus et Remus.

[16] Celui-ci étant un personnage maléfique, le spectateur ne s’interroge guère sur les coups que Lin lui donne. Toutefois Waco Johnny Dean n’avait rien fait au héros de Winchester 73

[17] Et cette réunion est bien plus importante que celle de Lin et de Lola…

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R
<br /> <br /> Ah, cette pauvre Shelley Winters. Elle est quand même nettement traitée dans Winchester 73 que dans La Nuit du chasseur et Lolita et c'est vrai qu'elle a ici sa force,<br /> sa complexité et son humour. Mais, on voit bien que les hommes lui préfèrent la carabine.<br /> <br /> <br /> Si elle avait été bien plus belle, on aurait même pu voir dans le film un éloge de la masturbation...<br /> <br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Ce film est extra ordinaire. J'ajouterais que les scènes d'action sont extrêmement bien découpées et s'intégrent parfaitement dans la<br /> narration à cent à l'heure et les multiples et jouissifs rebondissements. Enfin, je trouve également que l'actrice n'a rien d'une femme fatale comme tu l'écris aimablement. c'est un poil dommage<br /> mais il faut reconnaitre tout de même qu'elle est très bonne actrice et que son rôle (comme tu le dis) n'est en rien mis de côté. C'est le seul personnage féminin mais il est consistant et<br /> complexe.<br /> <br /> <br /> <br />
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