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Lamelles et lambeaux 2ème partie

Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #lamelles et lambeaux

Lamelles et lambeaux

 

De guerre lasse

 

De 1 à 150

 

a.151 à 200

b.201 à 250

c.251 à 300

 

De 301 à 450

De 451 à 600

De 601 à 750

 

a.

 

151) Polémique – Je continuerai à parler et à écrire. Jusqu’au bout. Mais je pense éviter, à l’avenir, les débats par trop oiseux. Ils m’ont tellement usé.

 

152) Désolation – Finalement, après avoir contemplé l’ensemble de ses expériences, n’est-il pas affligeant de constater que l’on finit avec quelques violentes haines et profonds dégoûts ? D’autant que si la férocité de celles-ci se nourrit de sentiments, elles se construisent sur des bases largement objectivables. C’est aussi parce qu’on ne sait les éviter que l’on meure trop tard.

 

153) Catalyseur – Il y a quelques années de cela, ma vie semblait tendre vers sa résolution. Qui fut détruite par un incident majeur. Ou la précipita, je ne sais. Toujours est-il que ma trajectoire en ce monde en fut définitivement brisée. Et que seule cette catalyse retient encore mon attention.

 

154) Effluve – Je suis si délaissé. Même par les mouches tant je sens mauvais.

 

155)Crime et châtiment – Dans l’histoire de la littérature, il y eut Shakespeare. Puis Dostoïevski. Et notamment son incomparable Crime et châtiment avec ce personnage, extraordinaire de complexité, de Raskolnikov. Quelques années avant Nietzsche, la question du Surhumain est posée. Avec ce rêve de dépasser sa condition en disposant du droit de vie et de mort sur ses semblables. En parallèle, existe la question du désir et de son rapport à l’amour. Directement liée au pouvoir elle aussi. Pouvoir sexuel en l’occurrence avec cette interrogation fondamentale qui est celle de l’auteur et de nombre de ses héros : est-ce que j’aime parce que je désire ou est-ce que je désire parce que j’aime ? Torture mentale avec, comme seule tentative pour la résorber, celle de se forcer à aimer une femme qui n’est, objectivement, pas désirable. Soit un échec assuré qui laisse sans réponse le dilemme plus haut formulé. On ne saurait appréhender la littérature dostoïevskienne sans le poser frontalement, voire sans l’éprouver directement. Notons encore que les aspirations problématiques de son héros donnent à l’œuvre son inégalable puissance mais que celle-ci, remarquablement structurée (en respectant, peu ou prou, la classique règle des trois unités), et parfaitement haletante de par sa dimension policière, a une saveur immédiate et intense même pour qui voudrait méconnaître ou oublier un temps les problèmes métaphysiques qui y sont exposés. Devant le monument, on s’inclinera donc en regrettant toutefois la conclusion, six mois après les faits et loin de Saint-Pétersbourg. La rédemption de Raskolnikov aux pieds d’une curieuse figure mariale sonnerait presque faux dans l’harmonie parfaite des centaines de pages qui le précédaient. Mais peut-être faut-il voir dans ce happy end surnuméraire, presque hollywoodien, une trace de l’époque ? Si Dostoïevski pose la question du Surhumain, il n’est pas Nietzsche et n’est donc pas, lui, prêt à conclure à la mort de Dieu. La béquille chrétienne, dans les errements moraux et politiques du temps (n’oublions pas combien la Russie, dans laquelle le servage prend fin et la masse, dont l’individu Raskolnikov est aussi et paradoxalement un membre, prend corps, change en cette fin de XIXe siècle) qui sont les soubassements-mêmes de l’œuvre du génie, est sans doute nécessaire à Dostoïevski pour qu’il ne se perde pas totalement. Mais, s’il se refuse à l’admettre, il sent qu’elle est, elle aussi, en train de céder. Ce que, contre ce qu’il croit penser, il montre. Là n’est pas le moindre des qualités de Crime et châtiment.

 

156) Egocentrisme et humanisme – « Regarde un peu autour de toi, vois combien sont nombreux les gens qui souffrent et relativise alors ta douleur » me dit-on souvent. Et non pas à la seule fin que j’arrête de geindre mais le plus sincèrement du monde. Pour m’apaiser. J’ai du mal à comprendre l’argument : le malheur des autres devrait donc faire mon bonheur ? Sauf à vraiment les haïr, ce n’est pas du tout le cas. En renonçant à l’indifférence, ce serait même plutôt l’inverse…

157) Néant – Je ne suis plus rien. Même pas l’ombre qu’un jour je fus. Celle dont le cerveau faisait éponge.

 

158) Idéologue et idéaliste – Je pourrais bien affirmer que je ne suis pas un idéologue. Mais par cette affirmation même, par ma volonté avérée de ne pas l’être, je le serais. A tout le moins, un peu. Trop, en tout cas. Cela n’a rien à voir avec le fait que je formule des théories sur bien des choses. Le mal est plus profond. Il en va de même de l’idéalisme.

 

159) Morosité – Je ne suis certes pas homme à me réjouir de tout sur commande, comme beaucoup s’y plaisent. Quel intérêt y aurait-il à ne pas distinguer les moments, les gens, les émotions ? Bref, de tout ramener à une sympathie globale qui fait que l’on aime tout ce qui revient à ne rien aimer du tout pour simplement fonctionnaliser ces mêmes moments, gens et émotions. Seule la passion devrait faire sens et la continuité enjouée, qui à force d’être appliquée en toutes circonstances réussit à faire sombrer jusqu’à l’exceptionnel dans le banal, le médiocre et même le vulgaire, devrait, la plupart du temps, céder la place à l’indifférence revendiquée. Tel est ce que je pense. Aussi me suis-je essayé à ne pas appliquer les règles de la société. Celle-ci s’est alors chargée de me le faire payer. D’abord en m’intimant l’ordre de m’amuser puis en me reprochant ma morosité lorsque je n’affichais pas une mine faussement réjouie. Ce qui est remarquable, quoique peu étonnant, est qu’elle a fini par l’emporter. En tentant de m’extraire du commun et de le faire, sinon savoir, du moins comprendre, j’ai bien, au vu des réactions suscitées, sombré dans cette morosité qui m’était attribuée. Peu à peu. Jusqu’au point de perdre mes passions. Cependant, je vous l’assure, ma nature première n’était pas si lugubre et mon humour, quoique teinté de noir, existait. Mais, au-delà des circonstances, dont certaines fautes personnelles que je ne saurais ignorer, ma trajectoire structurelle est bien d’être devenu le marginal que l’on voulait que je sois. Et non celui que je souhaitais et aurais dû être. Etre au centre ou en marge, cela peut, dans une certaine mesure, se décider. Mais on ne saurait créer sa propre périphérie. Telle est, je le crois, la leçon – et le bilan – de mon passage au pays de l’Homme. Il m’a épuisé. Je le quitte donc, morose comme vous le retiendrez, et vous le laisse. Avec ces mensonges, ces sentiments factices, ces émotions surjouées. Tout cela vous appartient. Cela n’a, me semble-t-il, rien de glorieux. Mais qui irait donc écouter un perdant aussi lâche qu’amer ?

 

160) A propos des champions – Je comprends parfaitement que, pour s’entraîner, on puisse, dans un premier temps, collectionner les bouquets dans des courses de faible prix. Je conçois également que certains êtres, limités, se contentent de telles récompenses. Mais ce qui m’échappe définitivement, c’est que l’on s’intéresse encore à cela quand on a remporté, ou même frôlé la victoire, dans des épreuves majeures. Quand ce niveau est atteint, seules celles-ci comptent. Simple question de rang devant laquelle les notions de plaisir de la compétition ou d’envie d’éprouver le goût de la victoire doivent s’effacer – d’autant que l’ivresse ressentie est frelatée par le médiocre prestige de ce que l’on gagne. Aussi le champion ne s’intéressera-t-il qu’aux sommets de son sport qui, dans certains cas, peuvent être uniques. Et s’il ne peut plus les atteindre, il se doit donc de se retirer et de ne surtout pas faire de la figuration. Par contre pour obtenir un nouveau – ou un premier – triomphe, il peut tout à fait occulter l’idée de panache.

 

161) Regrets – Quand je songe à tout ce que j’ai laissé pourrir sur pied au cours de ma trop longue et triste vie. A commencer par moi-même. Depuis ma mort, je n’ai plus qu’à cogiter sans fin pour savoir s’il s’agissait de malchance, d’injustice, de manque d’expérience, de peur, de lâcheté ou de bêtise. De tout cela à la fois, sans aucun doute. Mais qu’importe, mes regrets sont immenses. Et je ne créerai pas mon mister Hyde, ni ne retrouverai mon meilleur double.

 

162) Furie – Seul mon goût prononcé pour l’introspection et mon ton par trop sentencieux donnent à mes banales réflexions cet aspect quelque peu paranoïaque. Mais je ne le suis aucunement. Par contre, je suis en colère. Furieux même – au sens langien du terme. Et, dans mon cas, il n’y aura pas de happy end superfétatoire.

 

163) Mes restes de rêves – Je souffre de migraines. Atroces. Lorsqu’elles se déclenchent, j’espère qu’elles annoncent une prochaine rupture d’anévrisme. Mais non. Elles ne sont que le signal d’une longue souffrance.

 

164) Liberté, liberté chérie – Je ne veux, dans la mesure du possible, ni donner d’ordres, ni en recevoir. Je ne veux que rien ne me soit imposé, ni ne rien imposer à personne. Mais puisqu’existent, dans toute relation, des rapports de force, cela ne peut advenir – sauf à se retirer complètement du monde. Sans doute cela ne peut-il être qu’un idéal. Qui le restera. Malheureusement.

 

165) Contraste – C’est par goût de la vie que je suis mort. C’est parce que j’en suis réduit à cet état que n’est pas complètement achevé mon passage en cet univers.

 

166) Rudesse – On m’a souvent dit que j’étais trop exigeant. Le suis-je ? Peut-être, sans doute même, au vu de vos critères, puisque l’indécence me gène… Bien que je la pratique. Par ailleurs, je ne pêche que trop rarement par perfectionnisme.

 

167) Refonte – De me reconstruire sur une assiette plus ferme, il ne saurait être question. Mon double constituait le paroxysme de ma refonte. Il a été tué lorsqu’il atteignait son sommet. Et moi avec.

 

168) Champagne – J’aimerais posséder la légèreté d’une bulle de Champagne. Vous ne m’y avez guère encouragé mais, même dans les circonstances les plus favorables, je n’ai su y parvenir.

 

169) Parc d’attractions – Je n’en propose plus beaucoup. Espérons alors que j’en constitue une à moi tout seul. Mais il ne semble point que cela soit le cas.

 

170) Dragon – Quitte à être un personnage de conte, je n’aurais été ni le héros, ni la charmante princesse, ni le traître mais le dragon. De toute façon, j’ai, depuis longtemps, pris l’habitude d’avoir les naseaux fumants.

 

171) Ordinateur – J’enregistre nombre de données et suis plus que sensible aux virus. Pourtant, je n’ai rien d’un ordinateur. Par contre, vos algorithmes me semblent parfaitement réglés.

 

172) En quête de sens – Ce pour quoi je me suis sacrifié, je ne le regrette absolument pas. Je me borne simplement à déplorer la façon dont je l’ai fait et surtout que, ma mort venue et mon échec consommé, mes fonctions vitales ne se soient pas arrêtées.

 

173) Ce qu’il faut être – Il faut être une extravagance, non une incongruité. Mais que paraît-on alors ?

 

174) Cafard – Je ne l’ai pas. J’en suis un. Joyeusement écrasé. Comme il se doit…

 

175) Enonciation – La soigner, toujours. Ne jamais perdre la ressource du « je ». Seuls les imbéciles pensent et répètent ad nauseam que le sexe ou l’argent mènent le monde. Il n’y a d’autre véritable pouvoir que celui du verbe.

176) Fonction du couple – Outre qu’il stérilise la société en lui permettant de se reproduire, que nous propose donc le couple ? Simplement de transformer l’amour en vie quotidienne et l’instant en temps. Tentant ? Sauf que, évidemment, ce programme n’a pas de sens. Le couple détruit l’amour et l’instant. Telle est sa fonction. Son infection, plutôt.

 

177) Maintenant – La guerre doit commencer. Sans quoi il sera définitivement trop tard. Mes dernières batailles, toutes perdues en rase campagne, font que je ne suis pas prêt. Mais cela ne doit pas – plus – entrer en ligne de compte. Mieux vaut une défaite sans appel qu’un ultime renoncement. Il m’importe d’écrire le mot de la fin.

 

178) Clash – Plus de ruse, d’espionnage ou de pacte. Juste un dernier défi. Frontal, donc.

 

179) Stanley Kubrick ou l’émergence d’une nouvelle structure mentale, d’une pensée moderne ? – Nous avons donc, en héritage, comme structures mentales les plus puissantes, le christianisme et la tragédie grecque, quand bien même Dieu est mort et la civilisation grecque détruite. Elles s’opposent l’une à l’autre puisque la tragédie grecque présente l’homme, ou plus exactement le Héros, aux prises avec des dieux qui s’amusent avec son destin auquel il ne peut échapper quand le christianisme met, lui, en en place le rapport des hommes à Dieu ; il y a ainsi une complète inversion dans le lien proposé entre le collectif et l’Un unificateur. Aussi me plais-je à diviser mes auteurs favoris entre chrétiens (Alfred Hitchcock notamment) et grecs (Fritz Lang, par exemple), bien que tous fassent montre du même pessimisme ontologique (c’est pourquoi ils me parlent si profondément) mais comment, alors, classer Stanley Kubrick ? En lui ne semble pas subsister la moindre trace de christianisme. Je le dirai donc grec. Mais par défaut même si le fatum joue un certain rôle dans son œuvre. En fait, c’est autre chose. Regardons ses thèmes de prédilection : le carnage provoqué par les guerres-boucheries du XXe siècle, la volonté de l’Homme de s’élever vers le Surhumain en créant des machines et des plans censément parfaits (qui, toujours, ratent – en cela, le destin pèse), un regard acerbe sur la rigidité du code social. Dans son œuvre s’organise donc la féconde rencontre, a priori improbable tant les deux semblaient si profondément antagonistes, du nietzschéisme et du marxisme. Aussi apparaît-elle si moderne. C’est donc peut-être qu’une troisième structure mentale, encore à un stade liminaire d’organisation, est en train de se dégager et qu’elle se révélera, à terme, aussi forte que les deux précédentes – avec qui elle coexistera longtemps. Bien sûr, nous ne pouvons encore la nommer – si ce n’est par ce curieux barbarisme de nietzschéo-marxisme qui ne fait qu’évoquer les ingrédients primitifs qui la composent – et elle n’est pas encore clairement mise au jour. Mais qu’un artiste, donc l’art lui-même, de l’ampleur de Stanley Kubrick (par qui les concepts de nécessités éthique et esthétique acquièrent tout leur sens) aille y puiser de telles ressources tendrait à indiquer qu’elle pourrait contribuer à agencer, pour le meilleur et pour le pire et sans qu’ils en aient une parfaite conscience, la pensée des modernes – qui se doivent d’envisager, dans toute sa crudité, un monde vidé de Dieu. Il ne s’agit encore que d’un pari sur l’avenir mais je serais enclin à le faire. Pas seulement pour Kubrick et Nietzsche mais aussi pour Marx dont la lecture du monde, quoique bien imparfaite, était d’un grand intérêt. Il ne serait alors plus réduit au seul rôle de prophète, trahi par ses élèves, de la brève (à peine quelques décennies d’existence dont il ne reste plus rien) et suprêmement sanglante bouffonnerie communiste. Kubrick a bien extirpé Nietzsche et Beethoven des griffes nazis. Peut-être, de manière plus subtile encore, écartera-t-il Marx de celles de Staline et de quelques autres tristes sires…

 

180) De la place de l’ésotérisme – Si j’ai, tout de même, beaucoup aimé l’histoire, c’est parce qu’elle est si peu ésotérique. Chacun ou presque se fait historien dès lors qu’il s’intéresse à quelque chose. Si certains laudateurs de l’art m’ont tant déplu, c’est parce qu’ils souhaitaient le rendre inaccessible, le réserver à quelques initiés. Or, pas plus que l’histoire, l’art ne se doit d’être ésotérique – si ce n’est, évidemment, dans la résonance intime qu’il peut créer chez celui qui le reçoit. Se rencontre alors le seul ésotérisme (que la psychiatrie prétend détruire) et la seule élite : soi-même.

 

181) Clous – Je suis un fakir. Je puis admettre que vous ne souhaitiez pas me rejoindre sur ma planche mais ne croyez tout de même pas que je ne souffre pas.

 

182) Destin et postérité – Je n’aurais pas de postérité mais j’écris. Parce que je mène une dernière bataille au terme de laquelle il n’y aura qu’une défaite de plus. Ce qui est sans grande importance car je n’ai plus grand-chose perdre ou à gagner. Mais cet ultime combat éclairera les précédents. Donc je souhaite en consigner les faits marquants.

 

183) Diamant – J’aimerais posséder encore le temps de fignoler, de ciseler. Mais, étant taillé en pièces, je sais qu’il m’est compté. Aussi je me contenterais de ne livrer que la matière brute.

 

184) Rébellion de l’escabeau – Avoir été massacré par une masse abêtie et à demi au fait de ses actes ne m’étonne point. Nous vivons dans une société où, sous couvert d’éducation et de bonnes manières, le faible est appelé à subir ce sort. J’en étais. Du reste, je ne puis frapper cet ensemble désincarné. Par contre que certains, fort consciemment, se soient, comme d’un marchepied, servis de mes restes pour traverser quelque épreuve m’est insupportable. Ils ont là dépassé le collectif malsain pour rejoindre l’obscénité individuelle. Mais leur ancrage social – celui-là même que je leur ai permis de pleinement retrouver – leur a fait commettre une légère faute. Justement celle d’agrémenter leurs sournois agissements d’un peu de cette urbaine politesse. Ils ont cru ainsi me tromper – et s’assurer mon pardon. Ils n’auront, de facto, que perdu l’occasion de me priver de mes dernières forces. Celles que je m’emploie à rassembler et que je vais lancer, complètement, dans cet ultime assaut. Dont ils sont, bien sûr, les cibles privilégiés. Aussi paieront-ils – plus qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Et regretteront amèrement leur erreur à défaut de s’interroger sur leur comportement. Car je ne rêve pas. Plus du tout, du moins. Par contre, de la validité de ma macabre et vengeresse prophétie, je suis sûr et certain. Quant à ceux qui se sentiraient visés, sans doute se trompent-ils. Je connais mes coupables avec qui je ne ferai pas montre de la moindre pitié. D’ailleurs, je ne pense pas, ni ne souhaite, qu’ils se reconnaissent. Mais, qui sait ? Je ne prétends pas tout maîtriser et cela ne changerait strictement rien.

 

185) Soie – Je suis parfaitement bien placé pour reconnaître que les rejets d’une prison mentale ne peuvent être faits de dentelle. En tout état de cause, si cela est souvent regrettable pour leur style et leur valeur, être trop précieux affadirait leur teneur et en obérerait le sens. Cela frapperait peut-être l’idée elle-même d’invalidité. Mais la maille est toutefois plus fine qu’il n’y paraît de prime abord.

 

186) Excalibur – Il est peu probable que quelqu’un songe à t’ôter le poignard qui t’a été planté dans le cœur. Par contre, beaucoup, par un jeu pervers, feront mine de vouloir le faire pour mieux le retourner et te voir souffrir un peu plus encore. Aussi, pour limiter ta douleur et t’amuser quelque peu dans ton malheur, greffe donc des pics coupants sur le manche de celui-ci. Ainsi, tu verras les plaisantins vite repartir – et les mains ensanglantés. Bien sûr, si quelque héros venait à ta rencontre, il se verrait obligé de passer son chemin. Mais, encore une fois, le risque est bien minime.

 

187) Symbole – Les mots ont leur histoire et sont polysémiques. Mais je ne peux m’empêcher de sourire en remarquant que celui d’ogive s’applique aussi bien pour qualifier les architectures respectives d’une église que d’une bombe nucléaire.

 

188) Insouciance partielle – Il est quelques-unes de mes caractéristiques qui, pour être indiscutables, commencent à ne plus vraiment me soucier. Je n’ai jamais su forcer les portes du monde et manque cruellement de ressources. Et bien, tant pis. Mes facultés d’adaptation sont excessivement limitées. A la rigueur, tant mieux. Je suis probablement infréquentable et évidemment invivable au quotidien. Mais que m’importe le quotidien ? Bref, il est des choses que je laisse derrière moi sans que j’éprouve le besoin de me retourner. Suis-je assez clair ? Elles concernent, pour la plupart, mon rapport, très aigri, à la société.

 

189) Bas-fonds – Je ne suis plus au cœur de la mêlée et je ne parle pas ex cathedra. Quelle est alors ma place ? En haut d’un beffroi dont, difficilement, j’ai gravi chaque marche pour être face au vide et apprécier la vue d’une place superbe ? Non, ce n’était que mirage. Aussi sans doute est-ce plutôt dans une souricière.

 

190) Défauts – En dehors de la lâcheté avec laquelle elle fait un très mauvais mariage, mon principal défaut est la gentillesse. Ce que l’orgueil et la fierté ne compensent pas. Pensez, je serai presque tenté d’accorder une confiance démesurée à certains. Seule ma folle lucidité m’aura permis de me préserver un temps, voire de survivre. Mais je n’en reste pas moins un fuyard.

 

191) Remix – Je rêve d’une version dub et fortement syncopée de mon existence.

 

192) Hubris – Au-delà du besoin, qui est peut-être bien, effectivement, d’ordre hormonal, de satisfaire à la norme sociale, il faut remarquer que le fait de vouloir un enfant est la manifestation, mineure dans son expression mais catastrophique dans ses fins, d’une crise d’hubris. On se croit ainsi être capable de lui assurer la meilleure des vies, par l’éducation, l’amour et des aides de toute sorte. Hélas ! L’existence des enfants peut tristement dériver. Ne serait-ce que par accident ou manque de chance. Malgré la qualité, souvent peu contestable, des ressources offertes par leurs parents. Ceux-ci en sont alors réduits à mesurer leur totale impuissance. Qu’ils la comparent donc à ce qu’ils ont cru d’eux au moment où ils ont conçu leur délirant projet.

 

193) Paradoxe – Un jour, de trop longs mois après que ma sentence de mort ne fut prononcée, j’ai tenté, par une action d’éclat, de mettre un terme à ma dérive. Etonnamment, cela fut ressenti comme un renoncement alors là même que, pour une rare fois, je ne faisais pas montre de ma lâcheté coutumière, bien au contraire. Plus logiquement, cette impression ne tarda pas à fournir l’occasion de m’infliger un nouveau coup de poignard – dans le dos. Dont je ne devais pas me remettre. De sorte que ma tentative, la seule opportunité que je m’étais offerte de sortir de mon désastre, ne fit que l’amplifier. Et me fit m’approcher un peu plus de terme. Au-delà de la futilité anecdote, faible par nature, ce paradoxe ne cesse de me laisser songeur. Je ne sais trop quelle morale en tirer si ce n’est que d’aucuns, qui, pourtant, affectaient de bien me connaître pensaient qu’un hypothétique relèvement passait par un enfermement dans le conformisme de l’acceptation et que je ne devais pas compter sur eux. Mais, cela, même si j’avais fondé, comme souvent, d’illusoires espoirs en ceux-ci, je le savais déjà. De ce point de vue, outre ses néfastes conséquences, cet épisode n’a pas fait progresser ma réflexion. Mais il me fait perdre dans de sombres méditations. Car, vraiment, dans sa première phase, je ne le comprends pas et s’il ne remet pas en cause mes certitudes, il n’entretient qu’un rapport somme toute ténu avec celles-ci.

 

194) Coïncidence récurrente – Trois jours à peine avant mon plus ou moins accidentel décès, je me trouvais, par un heureux hasard, à énoncer le principe de récurrence. Donc à rappeler sa première condition qui est de pouvoir gravir la première marche. Si des générations d’étudiants ont commis d’amusantes erreurs à l’oublier, ce ne fut jamais mon cas. Et pour cause. Je savais que c’était ce qui allait avoir raison de moi. Par contre, dans ma grande immodestie, j’ai toujours été persuadé que si l’on m’avait hissé dessus, j’aurais monté sans peine aucune le reste de l’escalier.

 

195)L’Etrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde – Avions-nous vraiment besoin de Sigmund Freud et de la psychanalyse ? Très probablement puisqu’il semble qu’y avoir recours a aidé Woody Allen et, peut-être, lui aura permis de s’exprimer. Cela semble valable pour quelques autres aussi. Aussi leur bilan serait-il, comme l’impayable Georges Marchais le disait à propos de l’U.R.S.S., « globalement positif ». En ce qui me concerne, savoir que je révèle de la psychiatrie lourde, ne m’amuse qu’à moitié. D’autant que je n’aurais pas recours à un tel traitement. Je préfère ne pas être soigné et voir mon désespoir s’accroître plutôt que me livrer à un inconnu. Surtout s’il trouvait les causes exactes de mon mal et disposait d’une quelconque possibilité pour y remédier. Je me sentirais, en effet, abîmé dans mon unicité supposée. Qui n’est peut-être qu’un rêve mais l’un des plus beaux et le dernier de tous. Mais passons. Et revenons à la question liminaire. Disons que, au-delà de leur stricte formulation, nous n’avions absolument pas besoin de Freud pour révéler les concepts de Moi, de Surmoi et de Ça après que Robert Louis Stevenson ait écrit L’Etrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, chef-d’œuvre absolu de la prolifique littérature fantastique britannique de la fin du XIXe siècle, bien supérieur au Portrait de Dorian Gray ou à Dracula. Las, la descendance cinématographique du court roman de Stevenson fut aussi décevante que celle du livre de Stoker fut extraordinaire. Sans doute est-ce parce que le personnage du vampire, de par sa construction même, entre ombre et lumière, et son action, la vampirisation, est un double du septième art. Au point que l’histoire de celui-ci pourrait presque être écrite à partir des seules variations autour du personnage de Dracula. De l’œuvre fondatrice de Murnau jusqu’à la somme de Coppola, tout y invite. Quant au docteur Jekyll et à son compère mister Hyde, on regrettera amèrement que la version murnalcienne ne soit pas parvenue jusqu’à nous et on constatera avec dépit combien il fut, par la suite, mal servi par le cinéma – malgré quelques films plaisants. C’est que le mythe lié au roman avait fini par en faire oublier le texte. Docteur Jekyll et Mister Hyde, c’était devenu les deux faces d’une même pièce, le bien et le mal – dans l’acception la plus courante. Mais le texte ne dit pas du tout cela. Jekyll est ainsi, pour reprendre une terminologie freudienne qui n’émergera que quelques décennies plus tard, un être écrasé par son Surmoi, à la recherche de son Moi. Ce qui ne le mène, dernier échec d’une vie qui en a tant compté, qu’à créer un double se réduisant à ses pulsions. Son Ça, donc. Jamais mieux mis au jour que dans ces quelques lignes. Il ne manque d’ailleurs de provoquer une certaine fascination. Mais, c’est bien autour d’une triade, et non d’un simple duo, qu’il faut, absolument, appréhender l’œuvre. En cela, Freud, admettons-le, nous aide quelque peu en nous fournissant des concepts d’un maniement commode. Néanmoins, je ne saurais trop conseiller de se replonger, non dans la longue littérature ce dernier, mais bien dans l’incisif roman de Stevenson pour mieux approcher les ressorts de la personnalité et du psychisme humains. D’autant que l’œuvre, si elle est d’une redoutable complexité du point de vue de sa structure, s’avère d’une lecture aisée et d’une efficacité redoutable. Elle ne saurait d’ailleurs se réduire aux seules apparitions de Hyde. Personnellement, c’est surtout Jekyll qui retient mon attention. Notamment parce que je me sens très proche de celui-ci. Au point que, de moi et de ma vie, on pourrait presque dire tout ce que chantait Gainsbourg dans Docteur Jekyll et Mister Hyde, seule excellente adaptation que je connaisse de l’œuvre de Stevenson ; en particulier, ce dernier couplet : « Docteur Jekyll, un jour, a compris que c’est ce monsieur Hyde qu’on aimait en lui ; Mister Hyde, ce salaud, a fait la peau, la peau du docteur Jekyll ».

 

196) De l’ego du suicidaire – Je suis veule donc j’espère une rupture d’anévrisme – si possible pendant mon sommeil. Mais je suis également romantique. Aussi le suicide m’a-t-il toujours paru la meilleure manière d’en finir. Parce qu’il s’agit là d’un acte absolu qui porte en lui la résorption de toutes les contradictions. Même si l’on ne s’y trouve pas, s’il ne suffit pas à lui seul à ce que s’affirme le Moi, il constitue une manifestation d’un égo surdéveloppé. Au surplus, c’est un acte profondément antisocial puisque refusé par la société. On ne s’étonnera donc point qu’il contribue quelque peu à révéler l’individu – quoiqu’il s’y détruise. Bref, le suicide me tente. Depuis très longtemps. Trop longtemps, d’ailleurs car il a fini par acquérir une telle dimension théorique qu’elle s’oppose à sa mise en place pratique. Et puis, il y a donc la lâcheté. Ainsi que la mélancolie. Toutes choses qui me retiennent encore en ce monde dans lequel je sais pourtant ne plus rien avoir à faire. Pour combien de temps ? Le moins possible. En tout cas, je le souhaite. Toute cette comédie n’a que trop duré. J’en profite pour rappeler mon admiration pour les suicidés – si tant est qu’ils le sont devenus pour leur cause et après mûre réflexion. Alors je les jalouse et les envie.

 

197) Temporalités – L’avenir de l’espèce humaine ne m’intéresse absolument pas. Son présent, à peine plus. Son passé, par contre, énormément. A cause de l’histoire et des histoires, qui, parfois, se recoupent. Mais, au-delà du poids des structures mentales, je ne m’en sens absolument pas tributaire. Là réside d’ailleurs la principale différence avec mon propre cas. Je n’ai pas d’avenir qui me touche, ni même de présent. Aussi, je vis dans mon passé mais, de celui-ci, je me sens responsable, si ce n’est coupable. Donc je m’attache à l’organiser.

 

198) Interrogations sur la perte – La question n’est pas tant de savoir si l’on se perd et si l’on peut y échapper. On se perd toujours. Par contre, on peut, à bon droit, se demander si l’on se perd dans et par les autres ou dans et par soi-même. Et, si au fond, cela ne revient pas au même. Non pas seulement dans le résultat.

 

199) Absurdité – Qui pourrait comprendre la guerre que je mène ? Mon seul objectif est d’y mourir de ce dont je suis déjà mort. Je conçois que mon dessein puisse apparaître quelque peu trouble, difficile à concevoir et guère fantastique mais c’est pourtant le seul que je possède, que je veux encore posséder. Jusqu’à la victoire. Donc la défaite et la mort. Notons encore que, pour être perdu d’avance, mon combat n’est pas gagné pour autant. On pourrait alors dire, en fonction du but que je m’assigne et des voies étroites qui peuvent y mener, qu’il y a là de la subtilité, de la beauté, une certaine poésie, que ma guerre, alors, tend vers l’épure. Disons simplement que tout ceci recèle une véritable complexité. Dans laquelle je ne finis de me noyer…

 

200) Otage – Et si le syndrome de Stockholm s’expliquait tout simplement parce que l’on sait que notre ravisseur tient les clefs de notre geôle et que personne n’est prêt à payer une rançon ?

 

 

b.

 

201) Serments – Je suis peut-être légèrement puritain en ce que je considère que l’on ne doit pas trahir des serments que nous n’avons pas même formellement prononcés. Aussi vaut-il mieux éviter de s’engager et de sceller des pactes. Mais il est vrai que peu nombreux sont ceux qui hésitent, bien qu’ils fassent semblant de le faire et d’éprouver une immense torture mentale – combien je déplore d’avoir perdu le sens de l’humour et de ne plus pouvoir m’amuser de ce spectacle ! –, à les rompre. Pour peu qu’ils y trouvent intérêt et envie, sur lesquels, d’ailleurs, ils peuvent se leurrer. Ce qui, bien souvent, est le cas et ne constitue pas vraiment la morale de l’histoire mais plutôt la chute de la blague. Mais, en fin de compte, peut-être est-ce plus ou moins la même chose. Oui, effectivement, quel dommage que de ne plus pouvoir recouvrir toute cette pourriture d’un vaste éclat de rire…

 

202) Obscénité de l’élixir – Il y a là, comme en toute chose, de la mythomanie, de l’indécence et de la mauvaise foi. Le problème n’est pas tant que ces éléments apparaissent mais qu’ils soient correctement dosés. Or, tout laisse à supposer que ce n’est pas du tout le cas, certains étant surabondants, d’autres trop faiblement introduits dans la mixture.

 

203) Suite du programme – Je n’ai plus vocation qu’à être un caillou dans une chaussure. Prenons donc le temps de démontrer qu’il n’est pas possible de marcher sur l’eau ; après, je devrais pouvoir prendre quelque plaisir. De nouveau.

 

204) Faire naître, tuer et rapport de forces – Oublions les cas de légitime défense, le superbe altruisme, presque un acte de pur héroïsme, qui conduit à abréger les souffrances d’un être qui, clairement, en exprime la volonté et le suicide qui ne regarde que soi. Et précisons l’évidence soit pourquoi je considère que le meurtre est un crime moins grave que celui de faire naître. Sauf à tuer un inconnu, il y a, dans le premier cas, un acte certes absolu, une décision totalisante prise pour un autre mais qui concerne un être avec qui s’est nouée une relation. Donc un rapport de forces. Aussi, même de manière extrêmement marginale et profondément biaisée, des circonstances. Qui ne sauraient être qu’atténuantes – très faiblement dans l’immense majorité des occurrences. Au contraire, quand on met au monde un enfant, ce rapport de forces n’est créé que par soi et la naissance de celui-ci. Nous sommes alors complètement responsables du rapport de forces et des circonstances initiales, la volonté de l’enfant à naître n’existant pas, par définition, avant qu’il ne soit. Aussi l’acte absolu, la décision totalisante prise pour un autre, ne saurait alors être justifié par quoi que ce soit – même de manière extrêmement marginale et profondément biaisée. Ainsi faire naître est-il bien le crime suprême que rien ne peut dépasser dans son ampleur.

 

205) Ou bien, ou bien – Rappelons que le sens du sacré s’oppose terme à terme à celui de l’humour. Personnellement, je me suis montré capable de regarder 2001, L’Odyssée de l’espace ou de lire Les Fleurs du mal sans me livrer à un rituel liturgique préalable. Voire en mangeant des chips ou en sirotant une bière. Alors…

 

206) Facture – Chacun doit payer ses dettes. Il ne s’agit ni d’une vérité, ni de ma « philosophie » mais je n’ai absolument pas l’intention de remettre ma mort en jeu.

 

207) Collyre – En aurais-je donc besoin ? Tout me paraît si embrouillé, tout est si brouillé.

 

208) Qualité – J’aurais souhaité toujours élever un peu plus haut la barre. A relire mes écrits, je constate qu’il n’y a guère que la quantité.

 

209) Chat – Comme les chats, j’ai peut-être disposé de plusieurs vies. Toutes furent extrêmement mauvaises et seule l’avant-dernière a retenu mon attention.

 

210) « Je » et la société – Peur extrême de la société, envie de la faire exploser, désir de m’en tenir éloigné pour danser avec l’absolu… Surmoi, Ça, Moi : « Je » suis hypertrophie des trois. Comment auriez-vous voulu que je converge ?

 

211) Rayonnement – Donc le mien ne fut qu’une illusion. Une belle, quand même.

 

212) Jugement – Bien sûr, ceux qui se plairont à évoquer ma lâcheté auront raison. Mais ils échoueront à en percer la nature. De cela, je n’ai plus l’envie de rire. D’être mon seul juge, je n’ai plus la force de me contenter.

 

213) Fourre-tout – Je n’ai plus le temps d’offrir autre chose qu’un pot-pourri de mes balbutiements intellectuels.

 

214) Lourd – Perdre sa légèreté ne donne nulle épaisseur.

 

215) Soulagement – Et si, sans que ma main n’y soit pour rien, mourrait mon tueur ? Me sentirais-je orphelin ? Non, soulagé et, sans doute, libre. Vivant et heureux, cela reste à voir.

 

216) Le Moi et l’Un – Il est bien évident que toute pensée, outre qu’elle souffre d’imperfection dans son expression, ne peut que traduire, idéalement donc, un état transitoire du Moi. Si je livre les miennes, ce n’est que parce que j’ai atteint le dernier stade du Moi. Non pas celui lors duquel il atteint son sommet et tend vers son unicité. Celui-là, je l’ai connu peu avant ma mort. Mais le dernier au sens purement chronologique. La fin du Moi résonne lorsque celui-ci n’existe plus qu’à l’état de vague souvenir – forcément déformé. De là, il ressort que j’aurais dû écrire bien plus tôt et que je ne peux, ni ne dois, le faire plus tard. Bien sûr, nul ne connaîtra les moments de mutation qui m’ont fait approcher de la grâce, voire de la félicité, intérieure. Seules mes ruines apparaissent. Par ailleurs, si je réussis à me faire comprendre, on retiendra que le Moi est une courbe discontinue aux allures de parabole dont le plus haut point est assez proche, mais rarement, sauf pour certains, chanceux et laborieux, tout proche, sans cependant jamais complètement se confondre, de l’Un alors que ses limites premières et terminales s’effacent dans le temps. Quand le cœur commence à battre et s’éteint, il y a, dans les deux cas, loin de là jusqu’au Moi. Quant à l’Un…

 

217) Cassure – Puisqu’elles ne veulent tenir compte des sentiments profonds, les apparences sont trompeuses. Ainsi, malgré la pauvreté de celles-ci qui devraient avoir force d’évidence, certains n’ont point vocation à n’être que des comparses et à simplement emplir les creux. Aussi préfèrent-ils les brisures. Franches. Et les guerres. Sans merci.

 

218) Interrogation d’un Nosferatu – Est-ce parce que je suis mort et que j’en ai pleine conscience que je me montre incapable de réorganiser ma vie en fonction de cette nouvelle donnée ? Peut-être mais je ne le crois pas. Mon impuissance est liée à un reste de mon état ante mortem. Non pas à cette pauvre morale à laquelle je sais devoir renoncer – ce que je suis prêt à faire, quelles qu’en soient les conséquences. Mais bien à cette ontologique lâcheté. Celle-là même qui a joué un si grand rôle dans un décès que l’on jugera précoce.

 

219) Vinasse – Mettre de l’eau dans son vin ? Encore faut-il avoir les moyens de penser une intelligente tactique à plusieurs bandes. Et ce sans négliger la stratégie.

 

220) Sensation, émotion, réflexion – Je ne sais s’il en va de l’art comme de l’amour. D’ailleurs, peu importe. Devant l’art, en tout cas, il ne faut pas se contenter de la seule sensation (le rire, par exemple) alors que l’émotion, si elle n’est pas forcément première, est une impérieuse nécessité. On ne doit cependant pas s’y arrêter et courir le risque de se laisser berner par elle. L’émotion doit résister au filtre de l’analyse, laisser une place, donc, à la réflexion. Mais celle-ci seule ne vaut rien. Sensation, émotion et réflexion permettent une rencontre, potentiellement fructueuse, entre subjectivité et objectivité. 

 

221) Mort – « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Voilà bien une sentence qui, pour moi, ne s’applique pas. Même ma mort, plutôt que de me délivrer, m’aura un peu plus affaibli.

 

222) Profusion et diffraction – Quelles corrélations existe-t-il entre mes différents actes, dires et écrits ? Elles sont plus que limitées et je ne manque pas de souffrir d’une telle diffraction du Moi, trop grande pour qu’il puisse se révéler. Mais, parallèlement, je ne peux que me réjouir de la profusion de mes plusieurs. Si je me suis insaisissable, je le suis également pour les autres. Quoi qu’ils pensent, je ne saurais me laisser résumer à quelque molle synthèse – ou alors celle-ci a nom de folie. Ce qui est une manière de reconnaître que je ne me suis pas laissé circonscrire.

 

223) Laideur – Combien de miroirs ont pris peur en me croisant ?

 

224) Palpable ? – De curieux signes cabalistiques ornent maintenant ma folie. Preuve que cela ne va plus du tout et qu’elle progresse – sûrement et rapidement.

 

225) Piscine – J’ai beau rêver de nymphes, de naïades ou de sirènes, rejoindre l’océan ne me conduirait qu’à la noyade. Etant prêt à mourir de tout ou presque sauf d’asphyxie, le film de ma vie étant trop ennuyeux pour que je souhaite prendre le temps de le revoir, mais aimant diablement les ablutions, je me contenterai donc de barboter encore un peu dans le petit bain avec ce chlore qui me brûle les yeux.

 

226) Surprise ! – Dans ma descente aux enfers, un fait n’a de cesse de me surprendre. Mon corps, si chétif et objet de la plupart de mes turpitudes passées, résiste bien mieux que mon esprit – dont chacun pourra mesurer combien il explose de toutes parts. Ainsi mes épaules n’étaient pas si frêles et je me suis dupé en laissant mon esprit enfermer mon corps. J’aurais préféré soit disposer de cette information auparavant pour ne point commettre les mêmes erreurs, m’éviter moult tourments et ne pas fonder trop d’espoirs en le premier en rejetant, suivant en cela les autres, le second, soit que ce fut l’inverse. Dans ce dernier cas, ma dégénérescence serait déjà achevée et je serais mort les idées bien plus claires. Mais la réunion, par l’embolie cérébrale, du corps et de l’esprit, semble être inscrite à mon programme. Alors…

 

227) Histoire – Le critique se donnera comme règle d’airain – qui, comme toute règle peut, à loisir, être transgressée – de ne point révéler l’histoire d’un film ; ou de toute œuvre intégrant des éléments narratifs. Par « respect », dit-il, du public. C’est, en vérité, le prendre pour un imbécile et le rendre tel. On sait bien que l’histoire ne compte guère puisque seuls sont décisifs sa mise en scène, son traitement et ce qu’elle révèle en chemin. Elle n’est donc que pur prétexte. Même sa fin ne pèse que d’un poids tout relatif. L’ajout d’un happy end surnuméraire – qu’un Fritz Lang bâclait soigneusement et qu’un Alfred Hitchcock pervertissait subtilement – pour rosir un drame ou une tragédie ne changent en rien leur nature profonde. Il ne fait ni bien, ni mal. Tout juste peut-il apparaître incohérent. Aussi connaître l’histoire complète d’un film avant de le visionner ne gâche le plaisir que dans deux cas : ceux d’un très mauvais film et d’un spectateur stupide. Ce dernier, qu’on rencontre fréquemment, croit résolument qu’un bon film, c’est d’abord (et seulement ?) une bonne histoire. On s’amuserait à lui dresser une liste de chefs-d’œuvre reposant sur une intrigue d’une confondante banalité, à lui faire remarquer que, bien souvent, il n’y a pas, à ce niveau, une grande différence entre ceux-ci et quelques mauvais téléfilms tournés à la chaîne. Mais cela ne remettrait pas en cause sa certitude si ancrée car, à coup sûr, il en tirerait la conclusion qu’il n’y a donc pas grande différence – si ce n’est, peut-être, les performances d’acteurs – entre les sommets artistiques et les catastrophes industrielles. Laissons-le donc à son ignorance béate et satisfaite. Et retenons cette seule vraie règle : de l’histoire, on doit, comme de la vraisemblance, pouvoir se moquer ou, plus exactement, la considérer comme un simple véhicule – racontable, dans ses moindres détails, si besoin est. Voilà qui doit orienter notre réflexion critique. Profitons de cette évidence à nouveau énoncée pour poser une question. Ce qui est vrai pour un film, l’est-il également pour la vie, qui, malgré les vœux d’Andy Warhol, n’est jamais œuvre d’art : l’histoire, en tant que telle avec ses faits avérés et objectifs, compte-t-elle réellement ? Au-delà des propos d’Hitchcock, fin gourmet préférant offrir des tranches de gâteau plutôt que des tranches de vie, affirmant que le drame, c’était la vie hors ses moments inintéressants (ce qui, d’ailleurs, réduit un film à quelques deux heures ; point qui laisse à méditer), je ne crois pas non plus. Quand bien même, à mon sens, les nécessités éthique et esthétique n’y prennent pas les mêmes proportions.

 

228) Roulette russe – Chargeons donc le pistolet. Combien loger de balles dans le barillet ? Sachant que la première nous est destinée, faut-il en ajouter une seconde. Par précaution ou pour un autre ?

 

229) Les compromis du roseau – Puisque l’on finira bien par rompre, il faut sans doute mieux ne jamais plier.

 

230) Nature et conventions – Bloquée par les conventions sociales, ma nature s’est inévitablement fort assombrie. Mais comme elle n’est pas guindée par celles-ci, elle demeure néanmoins quelque peu fantasque.

 

231) Forces et faiblesses – Définitivement, je crois qu’il est plus utile de travailler ses points faibles que ses points forts. Là est la meilleure voie pour l’économie générale de sa vie. Définitivement aussi, je suis décidé à faire le contraire. Parce que c’est, sinon plus facile, du moins plus agréable, que la moyenne ne m’intéresse pas et que je préfère briller en un court instant que pâlir lentement pendant de longues, et censément heureuses, années.

 

232) Amabilité – Je ne suis qu’un plaisantin plus ou moins aimable mais parfaitement inoffensif. Je n’ai rien d’un rapace et n’ai point vocation à déchiqueter quoi que ce soit si ce n’est moi-même.

 

233) Punk – Mon présent ne s’intéresse plus au futur, seulement au passé dans lequel j’essaie d’introduire quelques modulations, de subtiles variations et de conserver des souvenirs biaisés.

 

234) Perspective – La fuite en avant, pourquoi pas ? C’est peut-être la seule option. Mais une telle ligne ne saurait se présenter droite.

 

235) Responsabilité – Si, dans un sinistre, ta responsabilité est clairement établie, tu feras alors tout pour te délier de sa vue. Ta préservation passe par la volonté d’oublier tes actes. Ce n’est que lâcheté et, parfois, stupidité, car il arrive qu’ils se rappellent à toi. Malgré ton déni.

 

236)Sherlock Holmes – Si le personnage de Sherlock Holmes créé par Conan Doyle est aussi admirable, c’est bien parce qu’il ne s’agit pas d’un simple détective – fut-il le meilleur de tous. Non, on est là au devant d’un pur personnage fantastique. Dont l’hyperrationnalité est précisément, plus que paradoxalement, le signe de son éloignement du commun des mortels. Ce que son quasi-autisme ne fait que confirmer. Un tel héros ne pouvait naître qu’à l’époque de Jack l’éventreur et de l’apogée de la littérature fantastique anglaise. Pas étonnant dès lors qu’il passe son temps déguisé dans les bas-fonds de l’East End avant de rentrer, point trop sagement, au 221 Baker Street.

 

237) Romain et candide – On dit que le Capitole n’est jamais loin de la Roche tarpéienne. Je ne sais si la proposition est toujours vraie – et ne le pense pas. Mais, dans mon propre cas, elle le fût. Ma vie a atteint son point d’orgue et a sombré au même instant ou presque. Quelques prodromes me laissaient entendre que cela pourrait bien être mon destin. Alors que, dans un délire pyrotechnique non maîtrisé, je brillais de mille feux, je commettais quelque impair et redevenais cet homme invisible que, jamais, sauf par supercherie, je n’avais vraiment cessé d’être. Tel fut mon trajet dans l’existence qui s’organise autour de ce grand schisme. Depuis lors, ma névrose n’a cessé de s’amplifier et je repense à ces événements d’une journée si symbolique. Tout m’apparaît logique mais je n’en demeure pas moins impavide. Je veux juste, avec un brin de candeur, que l’on me fasse ce plaisir : admettre que je suis mort en ce jour partiellement glorieux.

 

238) Spectateur – Je vous écoute, je vous observe. Longtemps, devant ce spectacle, j’ai ri ou pleuré ou plutôt je faisais les deux de façon synchrone. Ce avant d’être abattu par un accident imprévu qui m’a fait perdre ces émotions. Mais j’ai tout de même eu le temps d’acquérir une large connaissance théorique – à défaut d’être pratique.

 

239) Note – L’apaisement n’est, au bout du compte, possible que si l’on n’a de comptes ni à rendre, ni à régler. Ce qui a fort peu de chances d’advenir si l’on accède à un minimum de conscience – de soi et des autres.

240) La représentation permanente – Les gens les plus heureux que j’ai connus, et qui ne le furent, sans en avoir pleinement conscience, que pendant un temps assez court, l’étaient non pas parce qu’ils avaient cessé de jouer un rôle mais parce que leur évolution dans la vie leur avait permis de jouer leur propre rôle – qui pouvait être assez différent de celui qu’ils avaient envisagé a priori. Aux yeux des autres, il m’est arrivé, pendant quelques mois, de jouer mon propre rôle. Cela, pourtant, ne devait pas suffire à me rendre heureux. Je savais qu’il ne s’agissait là que d’un jeu et j’étais terrifié à l’idée que l’on découvre cette supercherie. Je voulais devenir ce rôle, celui que j’appelle mon double. Ainsi, me suis-je brûlé et détruit car, probablement, était-ce là un rêve impossible. Le masque devait tomber. J’aurais dû garder les attaches au moment où j’essayais de l’intégrer à ma peau. Mais j’avais l’impression que cela aurait constitué un manque d’honnêteté. Des questions demeurent : Etais-je si différent dans la comédie sociale ? Si oui, était-ce une différence de nature ou simplement d’appréciation des situations générale et personnelle ? Les autres, que ce soit avec cynisme ou désolation, ont-ils conscience de leur jeu permanent ? Je n’ai pas les réponses et en souffre. Cependant, je crois que c’est dans une surcapacité à percevoir le mensonge et dans une incapacité extrême à l’accepter que réside ce que les meilleurs analystes appelleraient mon « problème ». Il y en un, c’est certain. Mais permettez-moi d’utiliser les guillemets. Pour conforter mon propos et ma vocation : non de faire tomber les masques mais simplement de les faire découvrir.

 

241) Que faire ? – Nous vivons dans un monde où nous nous devons d’exposer nos émotions les plus intimes – quitte à ce qu’elles soient fausses. Nous pouvons aussi présenter nos raisonnements. Mais, dans les deux cas, sous peine de les voir complètement disqualifiés, il ne saurait aucunement être question d’en révéler soi-même les limites. Même si nous les connaissons parfaitement.

 

242) Porteurs de mauvaises nouvelles – Je n’évoque pas là les Cassandre qui nous ennuient de leurs noires prédictions mais simplement de ces gens, nombreux, qui se plaisent, sans en avoir conscience, à annoncer des « mauvaises nouvelles » soit des morts et des maladies plutôt que des « bonnes » c’est-à-dire des naissances. Excusons-les tout de même. Passé le « miracle » de la mise au jour, la vie est, essentiellement, une suite de petits drames et de grandes tragédies. Aussi ces tristes sires ne sont-ils, in fine, que de fidèles chroniqueurs de l’existence humaine et de son organisation sociale.

 

243) Limites des symboles – J’apprécie les symboles et suis prompt à en voir de nombreux – à tout propos ou presque. Mais l’on ne saurait décemment fonder son existence sur ceux-ci. Ni même sa mort. Ainsi cette histoire dont j’assure la parfaite authenticité. Quelques heures après l’annonce de mon décès, ma première activité fut, comme prévu (je n’avais pas encore eu le loisir de réorganiser mon agenda en fonction de mon nouvel état), d’aller nager. Qu’arriva-t-il alors ? Rien du tout. Je m’ébrouais sans difficultés particulières et ne devais pas couler – alors que je l’étais.

 

244) Déchu – J’ai bien failli être un franc usurpateur. Peut-être serais-je alors devenu roi – de plein droit.

 

245) Reniement paroxystique – Puisque rien ne peut dépasser le crime de faire naître, que seuls des cas extrêmes comme le génocide juif l’égalent en horreur morale et que, tout bien réfléchi, même s’il fallait sauver un véritable amour (et non sa triste apparence qui n’est que conformation à l’ordre social) – ce qui, généralement, est l’argument qui justifie le renoncement (ainsi pour préserver son bonheur, on posséderait le droit de faire un pari sur celui d’un être qui n’existe pas encore : quelle éthique !) –, je n’ai pas l’âme d’un nouvel Hitler, je refuse d’avoir un enfant. Si cela devait tout de même advenir, je me serais renié au-delà des limites de l’imaginable.

 

246) Yeux de braise – Bien souvent, du subconscient, réémergent des images enfouies. Dont ces yeux. Que vous diriez de braise. Qui, en fait, expriment tout et font perdre jusqu’à la notion-même de rationnalité. Alors, le gouffre s’ouvre. A nouveau…

 

247) Corps intermédiaire – Sauf dans le domaine politique où l’idéal se dissocie, l’expérience ne cesse de le montrer, du souhaitable, il faut s’efforcer de détruire tout corps intermédiaire. Dans ses rapports avec les autres, bien sûr, où le groupe est à proscrire mais aussi, ce qui n’a rien d’évident, au sein de soi-même. Telle est la voie qui mène vers l’individu et les individus. Conséquence mineure de cette assertion : tout ne relève pas du politique.

 

248) Filin – Ainsi mon meurtrier s’est-il amusé à détruire le mince fil qui me liait encore à la vie. J’aurais pourtant tellement aimé l’embrasser.

 

249) Samouraï – J’admire beaucoup Ghost Dog, la voie du samouraï et je suis plein d’empathie pour son curieux héros. Mais je ne saurais emprunter le même chemin que lui. Outre qu’il est étroit et difficile, il me semble un peu trop balisé. Néanmoins, voilà bien un personnage qui dispose d’une classe certaine.

 

250) Autiste – Je le suis. En un sens certain et non pas seulement parce que je suis un si profond sceptique.

 

c.

 

251) Pro& contra– Si l’on est prêt à renoncer à tout pour quelque chose, on doit aussi être prêt à faire de même contre ceci. Question de logique, voire de morale.

 

252) Inhumation – Je suis déjà mort et ne veux pas d’enterrement. Je veux que mes restes soient dispersés par les vents. D’où mes délirantes actions.

 

253) Détachement – Feindre de le cultiver. Aussi sera-t-on considéré comme analytique et intelligent, froid, distant et dépourvu d’émotions ou même plein d’humour. Et puis les fêlures surgiront. Après s’être révélées, elles ne cesseront de s’agrandir. Pourtant, derrière elles, restera ce que l’on pense. Loin de ce que l’on pense et vit. L’être, lui, aura, depuis bien longtemps, plongé dans la faille.

 

254) Rhizome – Etre l’un de ses nœuds n’a même pas à être jugé digne d’intérêt.

 

255) De l’égoïsme – Je ne sais, je me contente de l’espérer, si mes parents ont un jour regretté de m’avoir mis au monde. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’ils s’interdisent une telle pensée et la considéreraient même comme une profonde faute morale. Alors qu’ils savent que je suis désespéré d’avoir vécu.

 

256) Pédagogie – Même nos pseudo-pédagogues savent qu’il y a une différence ceux qui voient et ceux qui pensent. Ils n’ont pas compris, en revanche, quelle atrocité ils mettaient au jour.

 

257) Raisonnement, résonance – Il y aura encore des raisonnements, plus jamais de résonance.

 

258) Dans l’urgence – Le temps m’aura donc manqué pour la poésie ou la musique classique mais aussi pour laisser ma pensée infuser ce qui est peut-être, pour celle-ci, fort dommageable. J’aurais aimé en disposer et connaître le moment idéal pour ressentir et me déployer. Mais j’en suis réduit à me presser.

 

259) Penser un suicide – Passée la mort, il ne reste qu’à penser le suicide. Et à connaître un nouveau renoncement. Non, puisque nous avons peut-être encore un peu de temps, à avaler la poudre qui, enfin, mettra un terme aux souffrances. Cela, il faudra le faire, d’une façon ou d’une autre. Mais renoncer à l’esthétique. Un suicide ne peut être beau. En lui-même. Ou, alors, seulement comme le sont les victoires sportives – qui ne le sont qu’en tant que victoires. Dresser son esprit à cette évidence n’est pas facile. Bien moins qu’on ne peut l’imaginer. Et, pourtant, il faut, absolument, qu’un suicide soit un chef-d’œuvre. Mais seulement de haine et de vengeance. C’est là sa seule raison d’être. Soigner, à ce point, la mise en scène (quel incommensurable travail !) pour ce maigre résultat. Oui, renoncer. A être un artiste…

 

260) Stases – Donc, l’amour se réalise par l’entrelacement décisif de la continuité et des stases. Il en est ainsi de toutes les relations humaines, des plus superficielles aux plus profondes mais, en amour, les secondes sont, de loin, prépondérantes. Là est sa différence.

 

261) Place – Eprouver, successivement ou concomitamment, ces deux horribles sentiments : celui de n’être absolument pas à sa place ou celui d’y être précisément. Et ne pas savoir, ne pas arriver à déterminer, laquelle de ces idées est la plus insoutenable.

 

262) Procrastination – Quand j’envisage de me lancer dans une entreprise, qu’elle soit ou non ardue, je suis presque toujours arrêté par la question du « pourquoi ? ». Au point que je n’ai même pas le loisir de me poser celle du « comment ? »

 

263) Mon histoire – Je suis un perdant, cela est certain, mais je veux quand même écrire l’histoire. La mienne, bien sûr – qui est terminée depuis plusieurs années maintenant. Je veux que l’on me reconnaisse le combat que j’ai mené, longtemps sans faillir, contre le mal qui, jamais, n’a cessé de me ronger. Et rappeler quelques-unes des causes de sa victoire totale. Il restera à mes lecteurs à déterminer si j’avais quelque chance de succès. Et, si oui, combien j’en suis passé proche. A ces questions, je n’ai pas les réponses. Ou simplement partielles et dont la valeur est inévitablement altérée par mes pauvres interprétations. Mais je me crois assez honnête pour la stricte relation des faits.

 

264) Langage du corps – Plus besoin de sens en éveil, d’une quelconque stimulation, de massage ou de sexe. Le corps ne se détendra plus, ne se délurera même, que dans la décrépitude finale. Là, il servira à quelque chose. Pourra parler.

 

265) Transfiguration du passé – Lorsque tout étant irrémédiablement détruit, il n’y a pas à tenter de sauver ce qui peut encore l’être mais il faut, le plus rapidement, remuer ses restes. Il en sortira quelque chose. Non de nouveau mais à même de transformer la vision de l’ancien.

 

266) Equilibre – Y a-t-il quelque chose à sauver de tout ce fatras ? Cela tient-il debout ? Peut-être mais, n’étant pas funambule, j’en doute fort. Cependant, je ne suis plus mon juge. Et vous ne l’êtes pas encore. Ce moment particulier est vidé de toute autorité légitime. Nous tenons là un point crucial.

 

267) Le mal – J’aurais préféré souffrir d’un mal, également chronique, dégénérescent et incurable, mais plus facilement identifiable pour le commun. Un cancer, par exemple. Face à la maladie, on aurait loué mon inexistant courage et surtout, on ne m’aurait jamais demandé le moindre compte. Peut-être est-ce qui me pèse le plus dans la spirale de ma déréliction.

 

268)Le Horla – Il faudrait vraiment que je m’y replonge. Cela m’avait tellement plu quand je l’ai lu. Mais j’étais jeune, si jeune, trop jeune – car il est des domaines, rares, où une telle formule peut ne pas être dénuée d’un embryon de sens. Et mes souvenirs sont flous, si flous. Concernant cette nouvelle qui ne se définit pas prioritairement par sa clarté… Mais il me semble que je suis désormais assez proche de connaître une aventure semblable à celle du héros. Peut-être éclairera-t-elle quelque peu la mienne ? C’est peu probable. Il est néanmoins des voyages qui demandent à être refaits. Pour vérifier, pour comprendre et par plaisir.

 

269) Ultime libation – Il ne faut jamais refuser un dernier verre, faire en sorte qu’on le boive – quitte à prendre des initiatives contre sa nature. Et ce même s’il ne s’agit plus que de poison.

 

270) Alchimie et chimie – Dans les rapports humains, de quelque nature qu’ils soient, faut-il préférer la solidité à la fluidité ? Je ne saurais dire, vraiment. Par contre, je sais par les études scientifiques et par empirisme, que les deux états sont résolument incompatibles.

 

271) Attentisme – Ne point savoir attendre, c’est gâcher le moment. Trop attendre, c’est faire de même. Et il n’y a pas de compromis. Donc, il n’y a pas de moment. Il n’y a que lui également.

 

272)Faust– Bien sûr, la version du mythe écrite par Goethe est longue. Presque trop pour être véritablement lisible. Mais il y a tout de même de belles idées : le mirage de l’éternelle jeunesse et de l’omniscience, le pacte avec le diable, la truculente incarnation de celui-ci, Méphistophélès, le sabbat des sorcières ou encore cet être frappé d’incomplétude qu’est l’homoncule. Et, puis, surtout, cette phrase de Faust à Marguerite : « Le nom n’est qu’un vain bruit, un rideau de fumée qui voile à nos regards tout ce divin éclat » ; elle devait devenir une sorte de manifeste du Sturm und Drang et, partant, du romantisme. Fort logiquement.

 

273) Justiciable – Pour tout ce qui me concerne, j’ai définitivement décidé que la prescription ne s’appliquait pas. Inutile de préciser que cela n’a rien à voir avec la justice des Hommes. Ni avec la Justice. Peut-être ce principe se situe-t-il alors à équidistance entre les deux.

 

274) Érémitisme – Je ne crois pas qu’il y ait d’ascèse volontaire. Mais, parmi les mensonges et les formes de renoncement à la vitalité, il ne s’agit pas d’un des plus laids.

 

275) Ite missa est – Quoique la raison et, plus encore, la morale me fassent clairement savoir qu’il s’agit là d’une stupidité et que j’en souffre atrocement, je ne cherche pas à sortir de ma prison : celle d’un être enfermé dans une obsessionnelle hallucination. Ce que j’ai vu alors, dans ces instants occultes et résiduels, m’est infiniment trop précieux pour que je ne m’y attache pas désespérément. Que mes souvenirs ne soient que des mirages, que mon éthique me pousse à les envisager sous un jour très noir, certes. Mais cela n’entre guère en ligne de compte. Car derrière le Faux, il y a avait tout de même une parcelle de moi. Que je meure donc plutôt que d’y renoncer. Tel doit être mon martyre.

 

276) Le pôle amour – L’amour relevant tout entier et se détruisant dans la sphère publique jusqu’à se réduire à un simple et puissant marqueur de l’organisation sociale, je m’étonne presque que nous ne soyons pas allés jusqu’au bout de notre logique en ne créant pas, aux temps glorieux du Welfare State, un grand service public du couple. Ainsi, comme pour l’emploi, nous seraient plus ou moins imposées des personnes auxquels nous n’aspirons pas mais que nous acceptons pour ne point être considérés comme des parasites. Certes, au moyen de relations ou d’agences privées, cela fonctionne largement ainsi. Mais il manque tout de même la stigmatisation assumée des célibataires et les statistiques mensuelles sur leur nombre. Et même, ce qui n’est pas rien, lorsqu’il augmenterait, la possibilité de se défouler contre le gouvernement. Qui n’aurait, dans ce cas, pas l’excuse d’une conjoncture économique mondiale défavorable. Au moins, tout serait clair.

 

277) Sylla, le fait et le droit – Le mouvement profond de l’histoire se caractérise par une tension entre le fait et le droit. Toujours ou presque, sauf à mettre en pratique des lois idéalistes et inapplicables, le premier précède et il importe aux hommes de trouver les structures normatives à même de l’intégrer et de le réguler. Aussi, j’aime beaucoup la période des guerres civiles romaines lors desquelles, avant la stabilisation opérée par Auguste, l’opposition entre droit et fait atteint à une sorte d’apogée. Ingouvernable par les règles républicaines, l’Empire romain ne cesse de se remettre entre les mains d’hommes concentrant une grande partie du pouvoir. On ne veut renoncer à la République mais la trajectoire de près de deux siècles est celle qui mène vers un pouvoir de type monarchique. On l’oublie presque toujours mais le premier à s’être vu doté d’un pouvoir total n’est pas César mais Sylla – nommé dictateur pour une durée indéterminée. Que fit-il ? Il se servit de sa fonction pour tenter de refonder, ou de restaurer, les institutions républicaines. Avant, dans un geste qui aujourd’hui encore interroge, de quitter le pouvoir pour s’en aller tranquillement mourir. Peut-être était-il honnête et croyait-il à sa mission ? Peu importe. Ce qui doit retenir l’attention est que la République ainsi reconstruite ne tint pas face aux problèmes de l’Empire. Surtout l’exemple d’un Sylla omnipotent allait beaucoup inspiré ses successeurs, à l’inverse de son œuvre. Ainsi n’avait-il nullement travaillé pour le droit mais seulement, peut-être à son insu, pour le fait. Pour l’histoire, donc.

 

278) Description – Faut-il, de manière générale, être très descriptif. Je ne le crois pas et je crois avoir tendance à l’être trop. Mais, dans les deux cas, il est fort possible que je me trompe – lourdement.

 

279) Charlot – Dans le personnage inventé par Charlie Chaplin, spécifiquement dans ses premiers courts-métrages (certains des longs, tout particulièrement Les Lumières de la ville et Les Temps modernes, sont d’immenses chefs-d’œuvre mais une certaine tristesse s’est alors emparée du héros, ce qui ajoute à la densité des films mais éloigne quelque peu celui-ci de sa caractérisation première), il y a, même s’il n’est pas criminel et que la pulsion sexuelle ne joue qu’un rôle modeste, quelque chose d’un Ça libéré. En cela, il est proche du Hyde stevensonien et des futurs héros de cartoons. Certes, il veut s’intégrer à la communauté américaine. Notamment physiquement, donc, cinématographiquement, en prenant possession du plan et du cadre, en y gagnant sa place. Ainsi n’est-il pas absolument antisocial. Mais presque. Car, outre son action spatiale, il ne cesse, se situant très au-delà du simple sale gosse, d’attaquer et de pointer le ridicule des bonnes mœurs. C’est pourquoi, au-delà du rythme, de la gestuelle d’acrobate de Chaplin et de la composition déjà presque parfaite de ses premières œuvres, il fait tant rire en faisant montre de ce si complet et réjouissant mauvais esprit. Sans en donner toujours l’impression en première analyse, il est aussi incroyablement subversif. Ne l’égalent guère en ce domaine que ces curieux « sauveurs » que sont Gaston Lagaffe ou le duc de The Big Lebowski. Eux ne figurent pas du tout des Ça mais ne sont, par contre, entravés par aucun Surmoi. Aussi seront-ils jugés, y compris par certains qui rient devant leurs aventures, comme des parasites – ce que, du point de vue de la société, ils sont sans conteste. De fait, comme un Charlot qui ose faire ce dont on rêve, ils mettent à nu la mascarade sociale et, le relayant, ne font pas ce qu’on rêve de pouvoir ne pas faire. Et que, sans doute, nous pourrions ne pas faire si nous n’étions pas de tels esclaves sociaux – le plus souvent profondément volontaires. Ils sont des asociaux, d’inconscients objecteurs de conscience ou de très actifs résistants passifs. Aussi rendent-ils, par leur présence, la société légèrement plus supportable. A mi-chemin entre Charlot et Gaston, il y a également le très anarchiste Boudu du Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir. Pour emprunter une formule tirée d’un autre célèbre film du maître français, disons, en fin de compte, que Charlot, Boudu, Gaston et le duc crient – sans parfois même le savoir – très fort : « Faites cesser cette comédie ! » ; et, par eux, elle cesse. Aussi, le monde est-il réenchanté et commence-t-il, cette fois-ci, à devenir vraiment drôle. Mais ce ne sont que des personnages de fiction… En tout cas, voilà les vrais rebelles. Sans cause définie, forcément, car, si elle devait l’être, cela tuerait leur rébellion. Qu’ils nous inspirent !

 

280) Mon intelligence – Beaucoup m’ont affirmé, afin d’expliquer leurs difficultés à me comprendre ou les miennes à approcher le monde, que j’étais, je cite, « trop intelligent ». Les gens sont donc polis. Et je ne doute même pas que, dans certains cas, ils soient profondément sincères. Mais je suis également certain qu’ils se trompaient et faisaient preuve d’une vraie bêtise en pensant que l’on puisse être « trop intelligent ». Il est vrai que je n’ai, moi, jamais eu la subtilité d’admettre mes limites intellectuelles. Ce qui est peut-être ma seule marque d’intelligence. Insignifiante, d’ailleurs.

 

281) Etrange bilan – N’ignorant absolument pas ma nature romantique et mélancolique, j’ai fait en sorte de ne point trop jouir de l’instant pour ne pas trop avoir à souffrir de son souvenir. Ce faisant, j’ai souvent gâché le moment. Dont j’ai néanmoins, malgré mes précautions, éprouvé la virtuosité. Par bonheur et pour mon malheur. D’où un regard uniquement tourné vers le passé et empli d’incommensurables regrets.

 

282) La Vraie Vie de Sebastian Knight, Citizen Kane, Apocalypse Now– Au-delà de leurs immenses qualités formelles, des mille pistes qu’elles ouvrent et de leurs différences qui leur confèrent leur profonde originalité les élevant toutes vers les sommets les plus extrêmes, ces trois œuvres provoquent un sentiment de perte devant leur infinité. C’est qu’elles posent ces mêmes questions : où réside l’essence d’un être, son identité et son unité ? Qu’il s’agisse de soi ou des autres, peut-on les saisir, en un moment particulier, voire définitivement les isoler ? Par des voies similaires ou opposées, en mobilisant ou non la thématique du double, elles nous indiquent que remonter le fil d’une vie, fût-ce celui de la sienne, est un voyage qui ne saurait aboutir et dont on ne peut ressortir indemne. Ceux qui l’ont tenté le savent d’expérience mais ne sauront probablement l’exprimer plus finement que Nabokov, le montrer avec plus de virtuosité que Welles ou le faire ressentir avec le souffle épique de Coppola.

 

283) Toile – Le pire est que rien n’est franchement catastrophique en soi. Même quand on a surinvesti dans l’événement. Seul l’enchaînement, l’indéchiffrable rhizome entre les causes, les conséquences et leurs corollaires, nous conduit à la complète faillite.

 

284) Masochisme – La mort préserve de l’envie d’un bonheur frelaté, du désir d’un confort ouaté et sans consistance. Cela est précieux.

 

285) Morale et justice – Au point le plus cruel de mon existence, j’ai dû faire l’expérience que morale et justice ne coïncidaient absolument plus en ces circonstances dramatiques. Ce qui, avant cela, ne m’apparaissait point si évident. Cela ajouta à mon désespoir – déjà si intense. Et, je dois l’avouer, mon plus haut désir est désormais que, contre mon éthique, justice me soit rendue. Cela m’est sans doute possible mais il me faudra combattre ma lâcheté. Contre elle, j’ai, jusqu’à présent, toujours perdu. Abattre mes résidus de morale me sera, sans conteste, bien plus facile – qui, donc, ne prospèrent encore que grâce à ma pleutrerie. Tout ceci ne concoure guère à l’amélioration de mon état général.

 

286) Favori – En ce monde, je ne suis plus qu’un tout petit outsider. Il est vrai que ma lâcheté m’interdisait d’assumer la position de favori.

 

287) Faciès – Du délit de faciès, je suis et serai encore la victime. Ma laideur triomphe de moi.

 

288) Raccrocher – Que cela vienne le plus vite possible. De préférence après une victoire par raccroc.

 

289) De l’intérêt des miracles – Deux d’entre eux, trop partiels, m’ont tué. Je me félicite toutefois qu’ils aient eu lieu.

 

290) Epitaphe – Je suis le temps devenu principe de confusion.

 

291) Prédateur – La masse fait meute mais l’homme n’a rien d’un grand fauve.

 

292) Charlatanisme – Les antidépresseurs ne soignent que les gens qui ne sont pas malades. Pour les autres, ils ajoutent la destruction physique à celle mentale et morale. Heureusement, ils tuent – à trop petit feu, cependant. Quand je m’éloigne, ces constatations m’amusent.

 

293) Vacances – Le besoin de s’extraire, oui, je le comprends. Le ressens même. Mais il m’est refusé.

 

294) Opposition – Pour certains, l’envie crée l’énergie ou l’inverse. Ils ne connaissent pas le sens et s’en moquent se contentant de cette facilité accordée par leur personnalité. Dans mon cas, envie et énergie n’ont jamais coïncidé, l’une n’a jamais entraîné l’autre. L’envie, d’ailleurs, est morte – avec moi. Il me reste de l’énergie. Il me faudra la brûler. D’une manière ou d’une autre…

 

295) Interligne – Le meilleur de moi réside dans ma prose et, comme pour beaucoup, le meilleur de celle-ci dans l’interligne.

 

296) La preuve par l’exemple ? – Au fond, ai-je vraiment raté ma vie ? Oui, bien sûr. Mais ne suis-je pas seul, pauvre et désespéré et certains ne me considère-t-ils pas comme intelligent ? N’est-ce donc pas là ce que je voulais montrer ? Essayez d’admettre qu’il n’y a aucune contradiction, pas l’ombre d’un paradoxe. De mon côté, je tenterai de me satisfaire de ne pas avoir su obtenir l’instant, ni même d’avoir créé, et de n’être qu’un pesant traité de philosophie en mouvement.

 

297) Intransigeance – En tout, il n’est d’autre voie que l’intransigeance la plus stricte. C’est ce que je pense, ce à quoi je me tiens, le plus souvent. C’est aussi ce dont je doute, ce à quoi je déroge, de temps à autre. Et toujours, j’ai complètement tort – et absolument raison.

 

298) Sois sage, ô ma Laideur… – J’ai toujours été laid, en ai toujours souffert. Et cette difformité physique aujourd’hui s’amplifie. Mes yeux deviennent vitreux, sont soulignés par des fausses de plus en plus lourdes. Pourtant, je me réjouis de cette évolution. Elle n’est, en effet, que peu liée à l’âge ou à l’excès de travail. Elle m’indique surtout que j’abuse des médicaments. Abus ? Le terme est impropre. Ce qui, rions, est censé me soigner me détruit doucement. Que je mette un terme à cette consommation et je m’effondre en quelques jours. Bref, avec ce régime, je me suicide. Sûrement. Qu’il y ait sur mon corps les stigmates de ma résolution me rassure.

 

299) De l’évidence – Il n’existe de résonance évidente que parce que, justement, elle se distingue de la triste, banale et normale évidence. C’est dire si les premières sont aussi rares que sont fréquentes les secondes – et s’il est aisé de se laisser aller à les confondre.

 

300) Préjugé – On pardonne beaucoup à ce que l’on aime. Trop, sans aucun doute. Le pardon n’est pas preuve d’amour. D’ailleurs, il ne saurait y avoir de preuves d’amour. La notion entre en contradiction avec le concept-même d’amour. Mais la masse s’est convaincue, pour jouir pleinement de son impéritie sentimentale, du contraire. Et ce jusqu’à former des maximes stupides…    

 

Antoine Rensonnet

A suivre

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