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Lamelles et lambeaux 5ème partie

Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #lamelles et lambeaux

Lamelles et lambeaux

 

De guerre lasse

 

De 1 à 150

 

De 151 à 300

 

De 301 à 450

 

De 451 à 600

 

a.601 à 650

 

b.651 à 700

 

c.701 à 750  

 

a.

 

 

 

601) Idiosyncrasie – N’agir que par envie et par nécessité, sans vraiment savoir laquelle des deux domine, mais jamais par utilité, fût-elle personnelle, au sens classique du terme. S’agit-il d’une volonté ou une incapacité ?

 

602) Appel d’air – Tous ceux qui apparurent dans mon existence post mortem n’avaient évidemment aucun rôle à jouer dans la suite de celle-ci. Que certains m’en excusent.

 

603) Délassement – Evidemment, tout reste encore question de mise à distance. Ainsi, dans la triste suite d’événements et d’inactions qui composent les faits de mon passage en cet univers, je peux, si je m’éloigne, trouver matière à rire. Non parce que mon sens de l’autodérision serait surdéveloppé. Simplement parce que, avec une longue vue, le ridicule ne tue plus mais fait rire.

 

604) Continuité suicidaire – Si ma mort fut une rupture, le suicide fut, après cela, une démarche constante qui découlait, d’ailleurs, de l’impossibilité d’une seconde coupure si brutale. Cette continuité suicidaire est devenue ma nécessité éthique quand laisser une œuvre (malheureusement concentrée sur le seul aspect quantitatif – par incapacité et pour avoir subi la pression, qui n’était peut-être qu’une trompeuse impression, d’un temps m’apparaissant court) fut, elle, ma nécessité esthétique – celle-ci étant directement liée à la précédente et non dominante. Je ne suis pas un artiste, ma vie et ma mort ne furent pas œuvres d’art puisque l’éthique fut première.

 

605) Potentiel d’intensité – Sommes-nous tous, ou à tout le moins une minorité plus que significative, capables d’atteindre à ce degré d’intensité tel qu’il engendre un changement de nature de la trajectoire, celui, donc, où la vie résonne comme elle devrait être sans, évidemment, sauf à sombrer, se maintenir ? Je ne le crois pas et considère cette expérience comme résolument exceptionnelle au point qu’après il ne puisse rien exister de simplement décent. Mais il se peut que je me trompe. Peut-être certains peuvent-ils multiplier, sans qu’ils ne soient infiniment nombreux et qu’apparaisse la continuité qui les détruirait, ces pics ? Alors je serai mort de mon impéritie à supporter cette intensité. Mais, arrivé au terme, quelle importance ? Les autres ne comptent pas et j’ai possédé mon instant.

 

606) Dommages de la normalisation – A les regarder, ces couples bien accordés, on ne pourra que dire : « ils vont bien ensemble » ; ce sera un simple constat qui, même sans trop de jugement de valeur, sonnera comme une sentence. Le compliment est loin. D’autant que certains de leurs membres ont pu flirter avec l’étrange. Mais ils s’en sont éloignés en courant préférant se réfugier dans les bras de la normalité. Voilà le plus désespérant : cette déchéance, cet incommensurable gâchis – y compris pour l’étrange qui n’aura pu faire surface dans sa plénitude.

 

607) Budget – Sans aucun doute, vis-à-vis de certains, me reste-t-il quelques petits comptes à rendre. Mais j’ai surtout un immense compte à régler. Une fois ce contentieux traité, je pourrais obtenir quitus pour ma gestion. Ce n’est pas glorieux, simplement nécessaire.

 

608) Abominable fierté – Avoir ressenti une fierté immense, liée à des semi-réussites stupides et inutiles, dans le regard de ceux qui avaient commis l’impardonnable erreur de me mettre au monde, devait devenir ma plus grande honte. Pourtant, j’ai longtemps cherché (je n’exclus pas même que, partiellement, ce soit encore le cas) à susciter à nouveau ce sentiment. Pour le percevoir.

 

609) Supputations – Le temps des vexations et de certaines souffrances est passé. Vexations quand l’on croyait m’avoir compris. Souffrances de penser que je ne pouvais l’être. Non, je ne m’offusque plus. Je me trompe et ne suis pas le seul.

 

610) Que choisir ? – Renoncement, reniement, résignation : il faut, forcément, être l’apôtre de l’un, assumer un des autres et, absolument, refuser le troisième. Cruauté…

 

611) Interchangeable – Pourquoi être, même lorsqu’on a peur des autres, être agoraphobe ? Il n’est pas de lieu plus sûr qu’une foule. Chacun y joue son rôle, qu’un élément de ce dispositif autoalimenté vienne à disparaître et, immédiatement, il est remplacé. Même lorsque le comité se réduit, que l’on se trouve entre ‘‘amis’’, une place est rapidement assignée – pour le plus grand bonheur de tous. Cela est souvent valable même dans l’échange bilatéral (le seul qui vaille pourtant). Ainsi, si l’on ne veut participer à et de cette communion, ne plus être interchangeable, il n’est d’autre choix que de disparaître.

 

612) Un pur protestant… – En ne voulant considérer Luther que pour ce qu’il avait voulu être, un parfait réactionnaire, Nietzsche commettait, peut-être sciemment, une erreur. L’œuvre de Luther, qui, immédiatement lui échappa, ne porta nulle trace de retour vers le passé mais précipita l’avenir. Alors que, depuis quelques siècles, la figure christique avait dépassé celle du père et qu’il s’agissait plus d’imiter Dieu que de l’adorer, elle participa intellectuellement de ce mouvement mettant l’Homme au centre de tout. Elle fut aussi acte de rupture ce qui sapa l’autorité de l’Eglise romaine. Les Princes y virent une chance et la politique contesta un peu plus encore à la religion son rôle de principe organisateur de la société… L’émergence du protestantisme annonça la mort de Dieu et Nietzsche exista donc, au moins partiellement, par Luther. Reste ce que devait être, selon ses promoteurs, le protestantisme. Je m’amuse à remarquer que je pourrais presque être tenu pour un pur protestant. A la seule différence que je ne crois absolument pas en Dieu. Au fond, c’est là tout l’échec théologique et le succès historique de Luther et de ses héritiers.

 

613) Le privilège de la mort – Pouvoir imaginer, jour après jour et presque heure par heure, la vie à côté de laquelle on est si lamentablement passé…

 

614) L’absolu – Plus que tout, il reste ce désir, si intense, cet élan irrépressible, d’explication. Aller au-delà des faux-semblants.

 

615) Meurtre – Je suis la victime d’un crime imparfait ; s’il l’avait été, notons que j’aurais été consentant.

 

616) Bilan – Il n’y a rien de positif dans la continuité. Dans le changement non plus, d’ailleurs. Aussi l’ai-je en horreur et n’ai-je, absolument, jamais changé.

 

617) Classique conjonction – Malgré tous nos efforts, jamais un ensemble de mots ne sonnera comme une suite de notes. La partition se laisse nécessairement lire.

 

618) Structure – Dans l’idéal, toute phrase devrait se faire violente assertion et serait une performative aporie.

 

619) Loupe – Grossissante, donc. Ne pouvant qu’éclairer un point précis. Est-il si décisif ?

 

620) Récapitulatif – Celui-ci est-il réellement le dernier ?

 

621) Cibles – N’avoir qu’une seule corde à son arc. Superbe et impétueuse. Mais qui, évidemment, rapidement explosa. Se dire alors qu’en sa possession, demeuraient de si nombreuses flèches. Un leurre de plus ?

 

622) Bulletin de santé – Le publier, à intervalles réguliers. Etat invariablement stationnaire. Encore et désespérément.

 

623) Une échappatoire – « Vous êtes responsable » lui fit-on savoir. Pour tous, cela semblait relever de la pure évidence et, le comprenant, il sentit s’abattre une immense chape de plomb sur ses frêles épaules. Puis, réfléchissant, il se décida à adopter la seule attitude encore empreinte d’un peu de dignité : il s’en moqua. Car, après tout, cela touchait aux seuls événements de la vie. Alors, responsabilité peut-être, sans doute même, mais quelle importance cela pouvait-il bien revêtir ?

 

624) Roublardise – J’ai complètement abandonné l’idée d’entraîner mes muscles et me concentre uniquement sur la souplesse de mon poignet. En vue d’un bras de fer. A l’ancienne. Je sais que je serai battu. Mais lorsque mon adversaire fera approcher ma main de la cire brûlante, je retournerai sa main. Il sera déclaré vainqueur mais en restera meurtri.

 

625) Apitoiement sur soi-même – La meurtrissure était telle qu’une cicatrisation était quasiment impossible. Plus encore, les conditions de l’approfondissement de la blessure ont définitivement rendu la chirurgie réparatrice déraisonnable. Aussi n’y avait-t-il eu aucune raison de l’essayer.

 

626) De deux choses l’une – Au vu des différentes éléments constitutifs de cette fin, comment aurait-il pu être question de s’en remettre ? C’eût été indécent. Vis-à-vis du double – et de l’éthique.

 

627) Anarchique discipline – Ne jamais supporter la moindre autorité, ni quelque règle que soit. A commencer par les siennes. D’elles découlent les suivantes que l’on s’oblige, inutilement, à accepter.

 

628) Une forme de courage ? – Nous sommes plus qu’invités, presque sommés, de nous confronter à un soi-disant réel et de nous éloigner de notre zone de confort. Mais pour se retrouver où ?

 

629) Une éponge – Je ne laisse donc, ne veux, en tout cas, laisser rien – événement ou personne – derrière moi. Ce qui implique, il me semble, qu’il n’y ait également plus rien devant.

 

630) Celui qui gâche tout… – Puisque nous sommes pris dans le puzzle, parce qu’il nous faut accepter cette évidence sans renoncer, alors efforçons-nous de, toujours, en demeurer la pièce manquante. Celle qui brise le tableau trop lisse. La seule que l’on repère mais qui ne se laisse voir. On peut tenter de la deviner. Mais supputation n’est pas certitude et laisser l’imagination, souvent bien limitée, se développer reste un service à rendre.

 

631) Rêve d’Ivoire – Avouer que l’on songe, non sans délice, à rester enfermé, seul, dans une tour de verre. Pour la protection que cela offrirait.

 

632) République – Il faut comprendre, à écouter les uns et les autres en ces temps électoraux, que la République serait, avant tout, un ensemble de valeurs censément partagées dont certaines d’entre elles, porteuses de relents délétères, sont simplement insupportables (heureusement, j’observe dans le même temps que tous ne les ont pas en commun). Je me bornais précedemment à croire que la République n’était qu’un cadre, parmi d’autres, qui permettait l’organisation de la démocratie. Système politique qui, faute de mieux, est celui qui offre les meilleures possibilités d’émancipation à l’individu. Je prends note de l’évolution – et ne suis donc pas républicain.

 

633) La défaite, encore – On n’apprend absolument rien (nos sportifs devraient cesser de dire l’inverse pour chercher à valoriser leurs contre-performances…) de la défaite. On perd, c’est tout. Ce qui ne la rend pas forcément acceptable. Tout dépend de ses conditions et des termes dans lesquelles elle fut signifiée. N’ayant pu, sur le premier point, me battre à armes égales et jugeant, à tort ou à raison, les secondes répugnantes, on comprendra la nécessité que je ressens, même réduit à néant, à repasser mon heaume. Et cette envie, disons, de façon on ne peut plus euphémistique, de revanche.

 

634) Ultime regret après l’agonie – Le rêve, irréalisable, que me soit offerte l’occasion de revoir cet ange fragile que je n’ai pas su, lorsque les conditions s’y prêtaient, regarder – et approcher. Etait-ce bien un ange ? Il était fragile, c’est certain. Mon œil, même troublé par de morbides et obsédantes pensées, ne pouvait alors me tromper à ce point. Aujourd’hui, si épuisé, il le ferait peut-être…

 

635) A l’échafaud ! – Donc coupable, et fatalement jugé comme tel, d’avoir fui alors que l’on était innocent. Non, à cause de cette innocence même.

 

636) Contre-plongée – Comme l’assassin sur les lieux de son crime, la victime ne peut s’empêcher de régulièrement revenir sur le théâtre de son meurtre. Nue, sans armure, elle espère un nouveau combat. Elle descend aussi, sans scaphandre, dans les profondeurs. Dans son état, elle croit pouvoir se passer d’oxygène pour parcourir les abysses et ne plus ressentir les morsures du grand froid. Cependant…

 

637) Une beauté diaphane – Pourquoi en espérer toujours un peu plus ?

 

638) Mirobolante introspection – S’agirait-il ici d’une nouvelle histoire de ma vie ? J’en ai tant écrit, plus ou moins fictionnelles, plus ou moins différentes, lors de ces derniers mois. En m’enfonçant toujours un peu plus dans l’impudeur, jusqu’à verser dans l’exhibitionnisme quand leur mise au jour renforça mon introversion. Un bien curieux couple, fatalement mal assorti, découvert lors de cette plongée dans l’enfermement, involontaire, sur soi-même. Mais que peut Nosferatu sinon continuer à ressasser, rassembler et pulvériser de concert ?

 

639) Vitrification – Frapper, frapper encore, des mots pour qu’ils soient, quelque part, consignés – sans qu’ils ne servent à rien ; ils n’ont pas la moindre utilité, ni même vocation à être, un jour, utilisés. Ils construisent juste un entassement informe.

 

640) Flots vagues – Ils remontent à la surface, avec une régularité incertaine, laissent quelques souvenirs émerger. Intacts et abîmés. Je me souviens de tout comme si c’était hier. J'ai pourtant oublié depuis longtemps. Ma mémoire refuse de se délester. Mais ne se montre pas sans failles. Indocile, elle prend soin de hâter ma destruction.

 

641) Consternation – Comment ne pas ressentir une honte sans limites ? A regarder ce que nous sommes devenus, en l’acceptant – nous signons même parfois des contrats – et en le comparant à ce que nous étions essentiellement, aux possibilités que nous avons, un jour, brillamment exprimées…

 

642) Les deux dernières questions – Quels écrits laisser ? Et, à qui ?

 

643) Métronome – Quand des sentiments oscillent, à haute fréquence et sans reprendre leur souffle, entre l’amour et la haine, on considérera généralement que la seconde procède naturellement du premier, qu’ils sont les deux faces d’une même pièce. A la réflexion, il me semble plus qu’incertain de tenir pour acquise cette solution de continuité. L’explication, si elle doit se faire jour, ne peut, en ce domaine, se permettre une quelconque facilité de l’esprit.

 

644) Hôpital psychiatrique – Je n’ai jamais refusé, pour, si on veut absolument l’exprimer ainsi, me protéger, que l’on m’enferme dans un asile quelconque. J’ai juste signalé qu’il était hors de question que je me laisse soigner.

 

645) Ereinté – Faut-il donc, jusqu’à plus soif, multiplier les activités physiquement épuisantes pour que, enfin, cessent ces pensées acédiaques ? Mais n’est-ce pas, aussi, source d’asthénie. Plus que tout, à l’évidence.

 

646) Confidence pour confidence – Il n’y a que de ma maladie dont je puisse aujourd’hui être fier. Elle est le seule projet que je mène, vraiment, jusqu’au bout. J’aurais peut-être plus dû muscler mes cuisses ; j’avais également du potentiel.

 

647) Scribouillard – Je ne suis pas stupide au point de croire que, parmi mes écrits, je serais absent de certains quand dans d’autres, ma présence se ferait complète. Qu’ils soient simples remplissage, travaux alimentaires, révisés jusqu’à l’excès, éminemment personnels, ils sont tous et sans exception marqués de ma griffe – qui ne reste jamais que partielle. En cela, je ne me distingue pas de tous ceux qui écrivent, du plus triste gratte-papier jusqu’à l’artiste absolu. De cela, je dois tenir compte.

 

648) Point sur le i – Il s’inscrit dans une suite logique mais, ne serait-ce que par sa date d’apparition, ce point-ci, qui, comme tant d’autres, a échappé, finit par cristalliser, à lui seul, l’ensemble des interrogations. Aussi, parce qu’il résiste si fortement, faut-il qu’elles soient toutes levées.

 

649) Labeur – On oublie certes nos lettres de motivation. Mais il suffit d’un seul curriculum vitae pour que l’exceptionnel sombre dans le commun, que le moment perde son épaisseur et vienne, lamentablement, s’égaliser dans le temps. Comment accepter une société où le travail est indispensable et définit l’identité, où ce néant est valorisé, devient synonyme de dignité, quand il n’est que dégradation, impose des hiérarchies imbéciles, fussent-elles, partiellement, fondées, sur un quelconque mérite ? Définitivement, il ne faut pas…

 

650) Glasnost – Quand abrogerais-je ces liaisons ?

 

b.

 

 

651) Supplication – Que l’on abolisse, au moins, cette expression de ‘‘réseaux sociaux’’, à défaut d’annihiler ce qu’ils sont. Je n’ai plus les moyens d’un noble combat politique. Mais j’espère encore qu’on soulage un peu la langue de sa surcharge d’imbécillités.

 

652) Destin(s) – Je ne veux pas seulement cesser de m’observer sombrer. Mais également de voir s’effondrer ceux qui, talentueux, ont pu m’entourer.

 

653) Le conseil impossible – Qu’ils soient sollicités ou non, nous nous plaisons à donner des conseils. Or, s’ils ne portent pas sur des points techniques (auquel cas, ils ne sont pas conseils mais idées ou solutions), ils ne peuvent s’avérer que désastreux – donc inefficaces, ce qui n’est pas le pire. Ils portent en eux la négation de l’individuation. Remarquons que l’on dresse une étrange équivalence entre le « si c’était moi » et « si j’étais toi ». Le premier impliquerait pourtant qu’une situation soit objectivable au point que le passage d’un être à un autre ne la change en rien. Sauf à ce que, sciemment, l’on ne prenne pas en compte la personnalité de l’autre. Il ne s’agit donc plus de conseiller mais, simplement, de parler de soi (ne faisant presque jamais rien, je puis effectivement dire comment, en général, je réagis mais qui cela peut-il bien ‘‘aider’’ ?), parfois honnêtement, souvent en essayant de diffuser une image tronquée. Quant au second, il vise à intégrer ce qui construit l’autre, peut-être à lui faire découvrir ce que, vraiment, il désire. La démarche est loisible mais se heurte à l’individu. Si elle ne brise pas, nette, devant celui-ci, doit-on conclure qu’il est manquant ? Sans doute mais il se peut qu’il s’affaiblisse par le conseil lui-même. C’est là le travail, nocif, de la psychanalyse…

 

654) De la bonne psychologie – Je ne reproche pas à la psychologie d’exister en tant que science (humaine et inexacte), ne conteste pas même son intérêt. Que l’on explore nos schémas mentaux collectifs possède sa vertu, que l’on classe et que l’on nomme relève d’une méthode des plus élémentaires, que l’on affine, que l’on remette en cause et que l’on débatte est logique. Révéler, quitte à lourdement se tromper, ces schémas permet de les combattre. L’ennemi gagne à être connu et la psychologie est une arme somme toute valable – plus encore peut-être – dans le combat pour l’individu. Mais il y a ces demeurés qui exploitent les ‘‘données’’ pour adapter leurs discours à des êtres résumés à des cases prédéfinies. Souvent pédagogues, ils risqueraient avec cette politique, s’ils ne volaient pas d’échec en échec, de façonner les quelques monotypes qu’ils croient reconnaître. On ne sait que leur souhaiter : d’être des charlatans ou des convaincus, de pêcher contre la morale ou contre l’intelligence. Peu importe. D’ailleurs, laissons-les, ils ne font pas grand mal et se contentent de prendre quelques deniers à l’Etat. La véritable dérive de la psychologie est de servir de socle à une école de médecine. Or, penser, ponctuellement ou durablement, que le monde, la société, son existence, soi-même sont insupportables est sans doute une facilité (croire l’inverse est probablement une naïveté) mais non une maladie. Sauf à être cynique ou menteur, cela mène au désespoir, parfois au suicide, mais ne demande aucun soin particulier. Psychanalyse et psychothérapie ne sont que trafics d’influence. La psychologie pose cette question : peut-on repérer des catégories sans créer de normes ? Si la réponse est négative, il faut renoncer à l’étude, fascinante, de l’esprit humain et tourner ses aspirations intellectuelles vers d’autres objets plus médiocres. Mais je veux espérer qu’elle ne le soit pas.

 

655) Moyen-âge – L’un ne va pas sans l’autre. Il n’y eût jamais de forme sociale dans laquelle le travail n’était pas imposé. Tout juste, certaines permettaient l’oisiveté à quelques personnes bien ‘‘nées’’ et offraient à d’autres le soin de prier…

656) Le moine – si par une aberration de la conscience qui se résumerait un minutieux travail d’autopersuasion, j’avais réussi à me convaincre de l’existence de Dieu, je serais, sans aucun doute, devenu moine. Sinistre conséquence de la mort de Dieu, de la destruction d’un concept structurant, la possibilité de se retirer hors du monde est ôtée à quelques esprits insatisfaits. D’où cette question : avec la mise au jour de l’individu, la psychologie a-t-elle naturellement émergé ou les névroses qui, privées d’un couvercle, explosèrent lui en offrirent-elles l’occasion ?

 

657) Chronomètre – En affichant son absolue régularité, le temps essaie de faire oublier que chacun des éléments qui le composent est de densité différente. Des minutes s’acharnent à ne pas passer quand les journées filent et finissent par former une imposante masse d’années. Fors le moment, je n’ai jamais rien attendu de précis mais j’ai toujours été incroyablement impatient…

 

658) L’image scellée – Il me faut, au plus vite, redéfinir un rapport sain au cinéma. Sur lui, à travers lui, j’ai dit ce que j’avais à dire – mal. Je suis (provisoirement ?) épuisé et éprouve la peur que ce médium le soit aussi. Mais je sais demeurer bien loin d’avoir vu ce que j’avais à voir. Au contraire.

 

659) Ecrits cinématographiques – J’aimerais avoir la possibilité de tout reprendre. De soigner, enfin, la forme. Que cela soit plus concis, plus précis, plus dense. Mieux écrit aussi. Parfois plus approfondi. Mais il n’y aura que ces brouillons. Certains fournissaient une base plutôt solide.

 

660) Naturellement – Une conversation interrompue a vocation à reprendre.

 

661) Horripilant – On n’en finira pas, pour expliquer, de proposer l’argument de la blessure narcissique.

 

662) Une bonne nouvelle – Heureusement, je tends à devenir de plus en plus confus.

 

663) Le prêtre – Si Dieu existait, une entrée dans le clergé régulier serait envisageable. Mais non séculier. Je ne saisirais pas une désespérante opportunité pour aller au contact des autres. Mais pour me retirer du monde. Seule la possibilité de l’anachorèse me ravirait dans l’ancienne donne.

 

664) Amnésie – Pouvoir s’emparer d’un film, d’une œuvre dans sa globalité. Ou bien ne retenir qu’un plan, qu’une idée… Est-ce encore possible lorsque l’on s’oblige à écrire ? Que l’on s’accable ainsi, que l’on annihile l’art dans des notes informes – d’autant que les points décisifs, les plus structurants, furent déjà abordés. Oublier tout cela, découvrir et redécouvrir. Encore et encore. Avoir, de nouveau, à disposition un corpus immense. Pourquoi ? Sensations, émotions et réflexions, anciennes et nouvelles, probablement. Puis, sans doute, écrire… Mais ne rien partager !

 

665) Ne nous trompons pas ! – Dans ces courtes lamelles, tout ne saurait être clair. Aussi n’ai-je de cesse de cacher un autre derrière des ‘‘je’’, employés à tort et à travers. On remarquera toutefois deux obsessions : mes certitudes en deux morts, celle de Dieu et la mienne. Mais je ne nous confonds pas. Notre seul point commun, le décès mis à part, est le ridicule.

 

666) La route des cimes – Parcourue d’un zéphyr au son d’un sitar indien.

 

667) Unique expérience – Que peut-il naître d’une torture extrême, d’une lente agonie ? Rien. Mais il faut expérimenter ce désespoir définitif. Pour entrevoir – ce à quoi l’on n’accèdera pas mais que d’autres ne connaîtront même pas.

 

668) Pas si mal – Une performance honorable ne saurait satisfaire. Quel que soit le cadre, fût-il celui d’un jeu entre amis. Créer, par contre, ce cadre… Evidemment anarchique.

 

669) Physionomiste – Le drame de reconnaître les visages, d’y accoler des noms.

 

670) Loup – Une idée, celle d’une fête. A une date décalée par rapport à sa référence. Puis déplacée. Pour ne jamais avoir lieu. Elle reste en suspens. Par capillarité.

 

671) Idéal mathématique – Tout doit pouvoir se résumer en une équation impossible.

 

672) Initiative au futur antérieur – J’aurais fait en sorte que nous ne détruisions pas nos possibles. Que nous ne nous en débarrassions pas.

 

673) Fornication ascétique – N’êtes-vous pas lassés ?

 

674) Plus qu’un détail – S’il ne s’agit de lumière, l’expressionnisme ne se développe guère dans la nuance. Pourtant, un visage qui s’extrait d’une possible froideur de madone : des yeux, soudainement pleins et animés, la commissure d’une lèvre relevée indiquant une fantasque conscience et cette fossette, ride qui sublime l’ensemble. Déceler ces faux-airs…

 

675) A balles réelles – Peu importe le temps qui passe, l’instant l’a figé. Minutes et années ne se comptent plus. Ne plus rien s’interdire : mourir, tuer, briller, humilier s’il le faut. Ne jamais renoncer.

 

676) Irrespirable – Le charme peut s’évaporer de celui qui le porte, il n’en nimbe pas moins l’air.

 

677) Danse – Ai-je atteint ce point où il m’est impossible de regarder, avec un mépris amusé,  danser une microsociété ?

 

678) Rêves – Connaître juste assez d’expériences pour que se peuplent les songes. Puis quitter la société. Et profiter d’un long sommeil.

679) Inanition – Etre accroché à une longue corde. Sans disposer de la force nécessaire à la remontée. En posséder juste assez pour, au prix d’un effort paroxystique, atteindre le fond du ravin. Tant de temps pour s’en aller y mourir de faim. Quand il suffisait de se jeter et de finir écrasé !

 

680) Muse – Descendre toujours plus bas, mais dans une seule mine en creusant le même filon, pour puiser l’inspiration.

 

681) Verrine – On ne saurait connaître une once de véritable raffinement que dans la plus absolue des solitudes. Par essence, la société est vulgarité. Les us élaborés, la sophistication ne sont pas des remèdes mais aggravent le mal – parfois par une action masquante. Etat de culture ou de nature ? L’érémitisme n’implique nullement l’ascèse.

 

682) Devise française – Je n’ai jamais cru à la fraternité. Mais, je reste en tension entre le désir, absolu, de liberté et un évident penchant politique pour l’égalité. J’ai étudié l’histoire, je sais les deux profondément incompatibles. Nos révolutionnaires en firent l’amère expérience. J’en reste d’ailleurs au même point qu’eux. Comme tous ceux qui ne méconnaissent pas le problème et se refusent à un choix stupide…

 

683) Assurance sur la mort – Le coup de grâce ayant été porté, plus personne ne peut l’asséner. Détail intéressant dans la perspective, désagréable, de devoir, encore, se confronter au monde.

 

684) La voie de l’anarchie – Tout système sait intégrer ses ennemis. Lutter contre la société revient à s’inscrire dans celle-ci. Par contre, on peut l’ignorer, ne plus la prendre en compte. De cela, elle ne saurait se remettre.

 

685) Félidé – Il va de soi que la compagnie des hommes m’apparaîtrait acceptable si je n’appartenais pas à cette espèce. Mon chat, par exemple, semble, à intervalles irréguliers, la trouver non seulement utile mais aussi ludique, distrayante, voire agréable. Par contre, il ne peut supporter la vue de l’un de ses semblables. Voudrait-il, inconsciemment sans doute, m’indiquer une honorable porte de sortie ?

 

686) Hologramme – Je n’ai pas grandi, j’ai vieilli. Je ne me suis pas déployé, j’ai souffert. Les stigmates du temps, les symptômes du mal, je les vois et les ressens. Je préférerais ne pas être le théâtre de ce déplorable spectacle. Mais, face au miroir, un consternant reflet m’interdit de croiser le fantôme de ce que je fus.

 

687) Asile politique – Le temps que je consacre à mes réflexions politiques m’éloigne quelque peu de mon désespoir romantique au point de fournir un agréable dérivatif à celui-ci. Je ne souhaite donc pas que ces deux sphères se rencontrent – si ce n’est dans le fouillis de ces lignes. Que l’on ne m’entraîne donc pas vers certaines considérations trop précises. A constater, et devoir honnêtement déplorer, la continue dégradation de nos asiles psychiatriques, je ne puis m’empêcher, risquant de finir mes jours dans ces lieux de perdition, de songer à ce qui m’attend. Faites cesser cela ! Pour qu’on me laisse mes quelques plaisirs.

 

688) Codicille à la beauté –Vouloir recommencer sa vie suppose d’avoir vécu donc connu quelques instants. Les dupliquer revenant à les annihiler, refuser cette pauvre résilience est une question, élémentaire, d’éthique. Ou, peut-être plus encore, une clause esthétique.

 

689) Poignets – Ce qui révèle nécessairement enferme.

 

690) Numérologie – Dans celle-ci, je ne cesse, par superstition et dilection du grand nombre, de verser. Mais quel nombre retenir, définitivement, pour satisfaire cette inclinaison particulière ?

 

691) Clefs – Construire patiemment un immense dédale pour que celui – n’importe lequel ! – qui y entre s’y perde irrémédiablement. Une œuvre morale ! A l’unique condition que l’on soit le premier à ne plus trouver son chemin.

 

692) Elévation – Dans ce sombre entrelacs de tourments qui, par erreur, nous lie, je ne veux plus rechercher que la simplicité du verbe – incarné ?

 

693) Virus – La normalité, maladie rampante, progressive et incurable, semble le remède universel.

 

694) Terminus – Deux règles seulement : m’y perdre et finir en beauté.

 

695) Avec une longue cuillère (et une longue vue ?) – L’observation d’un microcosme humain, si respectueux de quelques conventions et capable de tant de méprisables calculs, reste un puissant délice. Lorsque l’on s’en tient éloigné.

 

696) Une ultime interrogation – Rien ne doit détourner, mais certains éléments peuvent-ils ne pas participer de cette volonté ?

 

697) Rite initiatique – Croire, malgré tout, à quelque superstitions ridicules. Un Arbre, une comète. Ou des mains qui, joyeusement, battent.

 

698) Fondamentalisme, un hommage – Le simple rappel d’une évidence : l’homme religieux, juif, chrétien ou musulman, considère son texte sacré comme référence indépassable. Il possède son code. Ce qui le définit comme fondamentaliste. Mais, outre qu’il n’existe justement plus d’hommes religieux, lesdits textes sont brumeux et offrent une cohorte d’interprétations contradictoires. Passons sur les joies de l’exégèse, plus intéressantes dans le cas de 2001, L’Odyssée de l’espace. Disons juste que le religieux, par essence, est fondamentaliste ce qui ne suffit pas à le rendre dangereux.

 

699) Au-delà d’une histoire écrite par les ‘‘vainqueurs’’ – A la fin des années 1930, il n’y avait pas, a priori, plus de raison d’en arriver à la catastrophe absolue que d’éviter la chute de la démocratie. Pacifistes et fascistes pouvaient fort bien se confondre dans le rejet d’un régime que nous célébrons aujourd’hui. Sans la folie nazie, la démocratie aurait peut-être disparu du continent européen. Partout elle reculait, souvent elle s’effaçait. En France, les coups de boutoir à son encontre se multipliaient. Il n’y a guère qu’en Grande-Bretagne qu’elle semblait encore assez stable. L’évolution ultérieure de nos régimes politiques fût complètement déterminée par une guerre qui, du moins par son ampleur et ses termes manichéens, n’avait rien d’inéluctable. Il s’agit, pour le philosophe ou l’historien, d’une question en tension. De l’un des plus incroyables points aveugles du XXe siècle.

 

700) Souhait – Plus que tout, je veux que nous restions de fantasques littéraires.

 

c.

 

701) Règle – Faire de sa vie une œuvre éthique et de sa mort un chef-d’œuvre esthétique.

 

702) Elongation intellectuelle – Seule une pensée étirée à son maximum mérite d’être consignée. Mais, rendue à un tel état, elle est, fort heureusement, inapte à fournir quelque ressource à l’action. Aussi nous faut-il nous défier de toute idéologie.

 

703) Après la victoire – Ne croyez pas qu’il s’agisse, lorsque je renonce à me pencher sur le cadavre en lequel je viens de vous transformer, de quelque marque d’élégance. Je pourrais être nécrophage mais vous ne présentez pas le moindre beau morceau.

 

704) « Le nom n’est qu’un vain bruit… » – Notre monde n’impose pas seulement que le sentiment s’accompagne de sa plus bruyante expression mais édicte, au surplus, cette règle : il n’existerait que par celle-ci. Je persiste, pourtant, à penser que le commentaire représente le début de la destruction du sentiment en le tâchant, à jamais, d’impureté. Or, ne pouvant plus me tromper que le collectif indistinct…

 

705) Facilité et morale de la réflexion – Si l’exposition d’un sentiment porte en elle la négation de celui-ci, il n’en va pas de même lorsqu’on exprime une réflexion. Tout au plus, l’affaiblit-on, plus ou moins légèrement. Encore cela peut-il n’être que provisoire et dû au fait que notre langage souffre d’imperfections et d’imprécisions. Mais, il n’est pas interdit de travailler et parler ou écrire, en ce cas, peut permettre une progression. Parfois décisive. Aussi n’y a-t-il aucune raison de se taire. Au contraire.

 

706) Aux points et par K.O. – D’un côté, une construction intellectuelle parfaite, inviolable. De l’autre, des idées qui émergent brutalement de la plus noire violence. Deux armes. La première suffirait mais rien n’interdit le panache.

 

707) Perfection – Un lumineux écart au système.

 

708) Droit de tirage – Ne jamais se contenter d’une promesse d’avance sur recettes.

 

709) Tromper l’ennemi – Dans le « Je suis amoureux », répété sur tous les tons, décliné dans de multiples formules similaires, montré par une série de gestes, il y a l’évidence de l’affirmation-négation, tolérée et encouragée, si elle ne se déclare jamais, par notre code. Mais qui cherche-t-on véritablement à tromper ? L’être que l’on n’aime pas, soi ou les autres. Assurément, l’ensemble dans un mouvement commun, confus et pratique. Mais je veux croire que le principal destinataire n’est pas toujours le même. Dans ce bel élan d’optimisme peut-être inconsidéré, je retrouve un peu de l’individu. Je n’ignore point qu’il va désormais falloir que je sois particulièrement imaginatif et convaincant pour théoriser et démontrer mon inclinaison-intuition.

 

710) Fenêtre de tir – Aux années qui suivent la mort, seul un suicide, placé au moment le plus judicieux, peut donner une raison.

 

711) Triste asymptote – Lorsqu’on loue et vit l’exaltation romantique, il est particulièrement décevant de découvrir ses limites. Par exemple, ne pas pouvoir supporter de ne pas connaître ses mille petits détails qui ont échappé et qui donneraient, peut-être, un semblant de continuité logique.

 

712) Grossièreté – Le travail n’est synonyme ni d’aliénation, ni de lâcheté, ni de dégradation, ni de torture, ni même de ridicule. Mais, plus simplement, de vulgarité. Ce qui est le pire.

 

713) Théorie et pratique – Combien faut-il être rationnel pour savoir où se situe précisément la déraison – et vivre dans celle-ci !

 

714) Sexes – Le plus terrible est-il de ne plus pouvoir regarder ou de devoir regarder ?

 

715) Ignition – Faut-il que la torture recommence ? Oui, je le veux. Ne se déployer que dans un équilibre instable, dans le ressac d’inextricables contradictions passées…

 

716) L’un sans l’autre – Puisque j’écris tant de commentaires, il n’est guère étonnant que les images me manquent à ce point. Et que mes sous-titres soient faux.

 

717) La junte et le droit-de-l’hommiste – Regarder de loin l’effrayante jungle sociale s’animer de son traditionnel mouvement brownien et se lasser de son propre soupir, celui que permet cette position de surplomb. Celle du contempteur professionnel, pauvre moraliste. Faut-il agir ? A moins d’être artiste…

 

718) L’adversaire – Ce ne peut être que moi. Et il est mort… (L’)ai-je vaincu ?

 

719) Suite – Ne restent que quelques vieilles amitiés, sincères mais rongées par la poussière des ans, et des bataillons d’adversaires, si peu organisés…

 

720) Droitisation et présidentielle – Pour une fois, Gramsci eût raison. Avant d’être crûment politique, la défaite de la droite fût, lors de la dernière présidentielle, morale et politique. Elle procéda d’une désolante erreur d’analyse : elle devait être, contre l’éthique la plus élémentaire, de flatter, d’activer même, les populismes les plus rances. Ceux, bien sûr, des ‘‘vrais Français’’ contre les ‘‘autres’’. Car, ces ‘‘autres’’, vivants dans des quartiers que, pudiquement, l’on dit sensibles, ne voteraient pas. Non parce qu’ils ne disposaient pas du droit de vote – pour la plupart, ces ‘‘autres’’ sont parfaitement et régulièrement français – mais parce que, appartenant à un segment sociologiquement éloigné des urnes, ils ne l’exerceraient pas. Aussi pouvaient-ils servir de bouc-émissaires et être agonis de coups. Sauf que… Ils votèrent. En masse et, conscients de l’urgence de la situation, ils ne s’égarèrent nullement dans d’inutiles votes protestataires mais usèrent de l’unique bulletin assurant la défaite du président sortant. Celui-ci l’a due donc à ces ‘‘autres’’, c’est-à-dire à lui-même. Belle et douce leçon, sans lien aucun avec la morosité économique ambiante, qui aurait dû donner un peu plus d’enthousiasme aux vainqueurs. Las… Considérant le score, il est vrai colossal, du battu, ils lui firent crédit, en en étant, pour beaucoup, navrés, d’une sorte de semi-victoire idéologique. En fait, de toutes pièces, ils la créèrent car ce discours accréditait l’idée que le vote décisif ne fût que de circonstance, plus instinctif que raisonné et souffrant – puisqu’il ne se manifesterait probablement plus avant longtemps (de fait, il fut absent des législatives qui suivirent) – d’une certaine impureté. Pourtant, démonstration avait été faite que les ‘‘autres’’ étaient aussi de ‘‘vrais Français’’. Ce qui, de mon point de vue, ne leur accorde aucun mérite supplémentaire mais constitue une excellente nouvelle.

 

721) Crise partielle – Seule ma part romantique et poétique est en crise, celle politique et intellectuelle se porte bien. Aller mieux impliquerait de m’en remettre uniquement à celle-ci. Il est hors de question de choisir cette voie. Je tiens trop à ma première moitié, à sa mélancolie…

 

722) Du corps et de l’esprit – Un corps malade ne saurait prendre en charge les rêves fous d’un esprit malade. Je ne sais si l’inverse est vrai et m’en moque, je n’ai pas le temps d’aller à l’accessoire.

 

723) Championnat – Tout est combat et seule la victoire compte mais qu’il faille, parfois, se contenter de deuxièmes ou troisièmes places pour assurer le triomphe final n’a pas à être considérer comme insupportable. D’une part, les championnats sont plus justes que les coupes. D’autre part, la stratégie n’a rien d’esthétiquement suspecte lorsqu’elle ne se substitue pas à l’objectif.

 

724) Bruit de fond – Certains, nombreux, veulent s’assurer que, toujours, on les écoutera. D’autres, plus rares, n’ont pour but que d’offrir, une seule fois, le seul son audible.

 

725) Responsable – Le début de la victoire n’est-il pas d’être perçu comme responsable de tout, de porter cette responsabilité ? A tort ou à raison, peu importe !

 

726) Tempo – Dans un groupe, le tempo intellectuel se règle au mieux – encore cela est-il rare puisque, le plus souvent, la bêtise collective impose son rythme inégalable – sur celui du plus limité de ses membres. Voulez-vous vraiment, dans ces conditions, dominer le mouvement de ces groupes auxquels, pendant un temps, vous appartenez ?

 

727) Laisser aller – Combien de personnes, dans un élan de banalité parfois sincèrement teinté de sentiments amicaux, m’ont conseillé de me laisser aller ? Ils regrettaient l’ennui, le trouble même, qu’ils devinaient en moi, se désolaient de me voir me tenir, résolument, en marge d’attroupements à dimension festive. Que voulaient-ils ? Que j’abandonne ce léger sourire sardonique qui constitue mon ultime arme pour supporter ces spectacles d’imbécillité et que la réflexion cesse, un temps, de m’habiter pour que je me mêle à la danse. Qu’ils le sachent : si j’avais dû céder à leur injonction et, effectivement, me laisser aller, je me serais saisi de quelque objet contondant (peut-être cette canette de bière qui, régulièrement, encombre ma main droite) et l’aurais lancé dans la foule afin de la blesser et de lui faire cesser son imbécile brouhaha. Est-ce vraiment ce qu’ils souhaitaient ? Mon Surmoi, en tout cas, n’est pas le leur.

 

728) Différence complémentaire – Le rêve d’omniscience est assumé, le fantasme d’omnipotence restera inconscient.

 

729) Dérivatif parodique – Si vos pauvres romances ont à voir avec l’amour alors le cinéma pornographique est la plus belle représentation du désir.

 

730) Roche – Notre réflexion est condamnée à toujours être sévèrement bouleversée, sinon définitivement remise en cause par le même écueil : quelle place faut-il accorder aux faits ? Nous ne pouvons les ignorer, les balayer d’un revers de main en les qualifiant d’écarts circonstanciels mais ils ne peuvent non plus devenir l’alpha et l’oméga, la source dont se nourrit toute pensée. La question des faits est donc appelée à demeurer insoluble. Au vu de l’intérêt de certains d’entre eux, il est particulièrement éprouvant de le constater. Mais leur absolue relativité les rend, dans leur ensemble, passionnants.

 

731) Proche – Sans se les interdire, n’accorder aucune prime aux délassements et transformer ce qui peut l’être en dépassements.

 

732) Revanche du taureau – Qui me tient en laisse s’expose à perdre son bras !

 

733) Remise en cause – Passé le moment, le temps a perdu son aura mais peut néanmoins redevenir un solide auxiliaire.

 

734) Charge – Ne concevoir le corps que comme un encombrement. Passager.

 

735) Esthétique du sevrage – Il ne m’appartient pas de faire l’apologie de la drogue. Je ne juge pas ceux qui en prennent, ni ceux qui s’en passent. Pourtant, en abuser, jusqu’au plus fol excès, permet de se livrer à une expérience remarquable. Celle du sevrage. Pour la tenter comme il se doit, il faut, évidemment, se passer de toute pauvre béquille, qu’elle soit médicale ou simple soutien psychologique, s’obliger également à rester à proximité des produits un temps adorés (les éloigner permettrait de se faire une raison…). Aller jusqu’au bout de la consommation de drogue – peu importe laquelle – et, subitement, pour la seule beauté du geste, arrêter. Alors commence un vaillant combat. Celui du corps contre l’esprit. Le premier, frisant l’agonie, réclame, manifeste même pour exprimer son manque et recevoir sa dose. Le second, bien que troublé par cette scélérate complainte, s’oppose. Résolument. Son triomphe, cependant, devant la douleur, n’est pas assuré. Il lui faudra réellement vaincre. L’exercice, on le voit, ne manque pas de charme, peut s’achever, si ses conditions ne sont pas truquées, sur une effrayante défaite mais offrira, dans le cas inverse, d’alléchantes perspectives. Pour des jeux plus exaltants encore.

 

736) Médecine – Si, quelle que soit leur spécialité, l’on n’admire pas les docteurs, rien ne semble interdire – tout, même, paraît le recommander – d’y recourir. Il s’agit juste de soigner ou, plus simplement, de soulager l’effet désagréable d’une extériorité absolue sur celle qui, malheureusement n’est relative, que constitue le corps. Ce n’est là qu’une affaire de chimie et de raisonnements hypothético-déductifs bien connus. Toutes choses qui ignorent l’éthique, l’esthétique, voire la culture. Et réciproquement.

 

737) Barre – En me fiant à vos critères, je me croirais presque capable de tout. De dire bonjour, d’être père aussi. Mais seuls les miens m’importent. Même forts imparfaits, ils valent bien mieux.

 

738) Faux-départ – La puissance des faits, tout de même. Parmi les rares qui semblent au niveau, qui nourrissent pour eux-mêmes quelque exigence, ne cèdent pas à la première facilité venue, figurent parfois des êtres religieux, guidés par l’idée d’un Dieu existant. Ils pourraient être sympathiques, être de ces rares compagnons de conversation procurant une stimulation, voire devenir de forts valeureux adversaires. Cependant, leur faute – morale (malgré leurs louables efforts en ce domaine) et intellectuelle (à rebours de leurs capacités) – les disqualifie d’office. Pour eux et, plus encore, pour moi, je regrette, lorsque je les croise, qu’ils se soient à ce point trompés d’époque. Saisir une telle chance ne saurait se refuser…

 

739) Amendement – Et si le brillant homme religieux posait cette simple question : ‘‘en quoi ce que je pense et ce que je crois ne valent-ils pas ce que tu penses et tu crois ?’’, que lui répondre ? Evidemment, que sa pensée et sa croyance sont affaiblies par sa subordination à son Dieu. Que ce qui justement pêche est qu’il atrophie le ‘‘Je’’ qui structurait sa question. Il faut néanmoins remarquer et concéder, avec grand plaisir, qu’en la formulant ainsi, en posant si résolument ce ‘‘Je’’, il commence à l’affirmer. Il est donc sur la bonne voie. Encore largement insuffisant mais potentiellement plein de promesses.

 

740) Héraut – Le vrai héros est celui qui peut, sans guère de difficulté, ni véritable risque d’échec, se livrer à un acte exceptionnel (parfois jugé comme tel par le commun) mais qui, devant ses désastreuses conséquences (souvent non perçues par le même qui ne sera pas avare de quolibets), y renonce. Et ne cessera plus d’en souffrir.

 

741) Constance – Le doute perpétuel plutôt que la brusque perpétuel. Ni lignes droites, ni virages à 180 degrés.

 

742) Limite à l’empirisme – Le reste de l’humanité se divise, lui aussi, en deux parties inégales, la première étant insignifiante numériquement, la seconde ne possédant presque aucun intérêt. Donc, ceux que l’on aime, infiniment rares, et les autres. Or les premiers sont les seuls dont les actes et les motivations qu’ils y donnent suscitent notre intérêt, que nous regardons et écoutons. Pourtant, nous ne pouvons guère les juger. Doublement par amour. Ce serait le vicier que de juger, ce serait s’exposer à formuler un jugement perverti puisque le sentiment est si prégnant. D’où il ressort que les seuls cas où nous possédons les informations nécessaires, voire suffisantes, pour étudier les comportements humains sont également ceux dans lesquels il est impossible de se livrer à une telle prospective. De sorte que, pour ce travail, l’expérience personnelle n’est presque d’aucune aide. Seule la théorie…

 

743) Défense – Il est certain que les cryptages, les boucliers, les armes trouveront inéluctablement leurs limites. Aussi pour protéger le disque dur, unique trésor à éloigner du regard violant des autres, n’est-il qu’un moyen : multiplier, sans jamais arrêter, les leurres. Au risque de le perdre soi-même de vue…

 

744) De la nécessité de passer son tour – Ne surtout jamais tricher mais toujours prendre le temps d’inventer et réinventer de nouvelles règles. Les siennes.

 

745) Terreur – Je puis admettre le besoin ressenti de faire une pause, dans la journée ou dans la continuité d’une existence, et de se laisser aller à la normalité, la banalité, la médiocrité. Mais je suis effrayé que les quelques être valables se perdent à les supporter, sinon les apprécier, définitivement ou, du moins, sur un temps infiniment trop long. Peut-être un tel comportement, trop souvent observé, disqualifierait-t-il cette idée de pause ? Accepter, tout de même, la fatigue, n’être point quelque Savonarole. Et espérer. Un peu…

 

746) Genre – Je pense souvent à Simone de Beauvoir qui décréta, avant de se perdre en longues et vaines explications, qu’on ne naissait pas femme mais qu’on le devenait. Idée saugrenue qui introduisait le sexisme dans la parthénogénèse – qui ne demandait rien pour suivre son cours bêtement mécanique. Je pense surtout aux applaudissements nourris qu’elle devait recevoir pour cette imbécillité dangereuse. Et de qui ils venaient. Comme de ceux qui, guidés par de déplorables pensées, ne lui adressaient que quolibets, justes d’ailleurs (mais, de même que l’on ne peut rire avec n’importe qui, on ne saurait vociférer avec certains). Amusant si ce n’était si consternant.

 

747) Arène – Etre ou ne pas être. Dans la place. Il y a, à se tenir à l’écart, une certaine beauté. Mais il faut revenir. Ce qui implique, pour un temps, de rester en position seconde, dans l’ombre. L’accepter, mais ne pas s’y résoudre, ne jamais s’en contenter. Pouvoir goûter aux charmes, tout de même, d’être, à nouveau, acteur. Et toujours observateur.

 

748) Pudeur – Retrouver cette vieille armure, un jour transpercée. Si celle de rester nu était répugnante, l’idée de la changer, pour la rendre plus souple, semblait, elle, si séduisante. Mais le processus est, décidément, trop long et bien incertain. Alors la reprendre, connaître ses qualités – elle permet de parer aux coups et laisse la possibilité de décocher quelques flèches sublimes. Surtout, par expérience, savoir tout de ses défauts. Elle interdit le combat au corps à corps. Cela, pour une fois, le supporter éternellement. Car il est d’autres techniques. Qui rendent possible, voire évidente, la victoire.

 

749) Dialogue profitable – Faut-il écouter ces histoires reconstituées et outrageusement fausses dont la figure prépondérante est, plus que le mensonge, une aporie, que l’on peut juger momentanément salvatrice ? Au-delà de la question, évidemment décisive, de la nature de l’interlocuteur et de l’amusement que peuvent susciter de tels récits, oui, plutôt. A condition, toutefois, d’avoir claire connaissance des faits. Et de ne pas s’y arrêter.

 

750) Aveuglement (passionné ?) – Il est amusant de voir les occidentaux chercher à imposer dans le monde entier un ‘‘modèle’’ démocrate, de réussir à faire voter – triomphe d’une influence – nombre d’Etats qui n’en manifestaient guère la volonté et d’être si dépités en voyant que, malgré cela, le régime ne fonctionne pas, les scrutins, truqués ou pas, ne donnant pas les résultats escomptés. Pleurs de droite et de gauche (ces notions que, malheureusement, il est si difficile d’importer partout…) se mêlent alors : outrancière indignation devant le manque de culture (démocratique, donc) des peuples, dont ceux-ci sont jugés, ou non, responsables. Manque affligeant de mémoire aussi (devoir que, par ailleurs, l’on nous vante). Devant les tensions accumulées dans les sociétés, les rêves de conquête, les multiples rancœurs, la démocratie n’a-t-elle pas sombré corps et âme ? Que fallut-il pour qu’elle s’impose durablement ? Le chaos qui s’était installé, par son absolue horreur, enfin pris en compte, une bienheureuse fatigue, mêlée de répugnance, à faire de nouveau la guerre, et la démocratie ‘‘politique’’ doublée d’un système efficace et trompeur, de régulation sociale. Beaucoup de conditions. Oubliées, à contempler les autres, par orgueil raciste ou paresse intellectuelle.

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