Nocturama : Jeunesse, effroi, cinéma
2016 sera vraisemblablement une année cinématographique un peu faible. Une splendide tueuse et un amour perdu provoquait un sursaut au sein de quelques bons films (The Assassin de Hou Hsiao-Hsien). Sinon pas grand-chose. Mais fin août, Bonello, le meilleur réalisateur français actuel, propose un film inspiré et vibrant. Un vrai choc. Et l'occasion pour Antoine d'une bribe. Chouette ! nolan
Jeunesse, effroi, cinéma – Malgré les apparences, Nocturama n’est ni le portrait, ni l’autopsie de la jeunesse française mais plutôt un fantasme assumé et poussé à ses confins. Non pas dans son union impossible, qui transcende les classes, ou dans son extrémisme insensé mais parce que l’échantillon n’est en rien représentatif. Au risque de raccourcis potentiellement dommageables, il oublie – volontairement – qu’entre le centre et les zones de ban, se découvrent, à défaut de passerelles, nombre d’entre-deux et bien d’autres cloaques. Bref, que Paris, stricto ou lato sensu, n’est pas la France. Surtout, ces jeunes-là sont bien trop beaux. Quoique parfaits adonis et sublimes aphrodites ne peuplent pas l’écran, ils dégagent une telle impression collective de souplesse nerveuse qui, individuellement, doit beaucoup et plus encore à leur gracilité. Ici, la jeunesse fait beauté. C’est présenter comme vrai ce qui ne l’est point soit la réciproque d’une proposition, elle, évidente (la beauté est jeunesse).
De cette fiction naît justement le film soit la possibilité du projet criminel des protagonistes dans la première moitié puis la crédibilité de la dispersion brouillonne de leur énergie dans la seconde. Au ballet millimétrique, qui, à chaque instant, accroît la tension, succède ainsi la perte dans le grand magasin, monde clos qui se veut tout à la fois immensité et modèle réduit, ailleurs de rupture et représentation de l’extérieur. S’éloignant définitivement des rivages classiques du film de casse pour gagner un inconnu plus virtuose encore, Nocturama mobilise à plein les immenses possibilités expressives de cet espace fascinant. Et elles sont comme décuplées par la perte du centre de contrôle – le panoptique des mille yeux de Mabuse –, un surdécoupage visuel se superposant à une unité sonore qui perdure. Le film devient pure expérience sensorielle, les statuts de l’œil et de l’oreille différant, divergeant et se réassociant sans cesse alors que progresse la menace d’un dehors diégétique et demeure le possible d’une musique qui ne l’est pas toujours.
Pour les héros, la chandelle est bien brûlée par les deux bouts. Il fallait tout détruire, il faut tout consommer et le temps, naguère si précis, se dilue tandis qu’émerge un confus sentiment d’urgence. En un sens, ils sont, dans leurs contradictions, de plus en plus décevants mais restent magnifiques en enfilant vestes et robes taillés pour eux. Par le vêtement, se dresse un curieux pont entre Saint Laurent et Nocturama comme si Bonello creusait une piste, suggérant qu’en ce domaine, et plus généralement peut-être, le problème n’est ni les créateurs, ni les porteurs mais ceux qui commandent et achètent. Discours sur la duperie qui toucherait et les destinateurs et les destinataires, donc, pour d’étonnantes vision économique et conclusion politique, sans doute pertinentes, cependant assez pauvres et, in fine, un peu creuses.
Puis vient le terme et, seulement, le ressaisissement du réel. Jusque-là, il y avait bien une intrigue et une toile de fond mais le fantasme régnait en maître. Aussi les menées terroristes du petit groupe n’était que l’un de ses prétextes et, au fur et à mesure, n’évoquait que de plus en plus abstraitement une sombre actualité. Soudain, au moment décisif, elle ressurgit concrètement. Ce n’est que dans l’assaut des forces de l’ordre et l’inévitable et aveugle mise à mort, d’abord détaillée puis – heureusement – elliptique, qu’il entraîne, que le sinistre écho des fusils d’assaut se fait entendre. De cette séquence glaçante, l’insoutenable violence ne s’effacera qu’avec le traumatisme qui souille notre imaginaire, percuté par le 13-Novembre. Que Bonello tienne à rappeler qu’il avait tourné avant souligne d’abord ce qu’un grand film doit à son montage et qu’il se nourrit de toutes ses phases de création. D’ailleurs, le titre dût être changé et ne se révèle que Nocturama. Qui, au final, éblouit. Car, dans son métissage du fantasme et du réel, c’est le cinéma qui, pour une fois en cette ère glaciaire, emporte une claire victoire.
Antoine Rensonnet
Commenter cet article