L'Illusionniste
Le film de Sylvain Chomet séduit par son hommage sans lourdeur à Jacques Tati sans se départir d'un univers plus personnel dû notamment au cadre écossais de l'histoire et la touchante histoire de filiation entre un vieux magicien français et une jeune Ecossaise candide.
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Alice et Jacques
Je garde, contrairement à Ran, un souvenir mitigé des Triplettes de Belleville (2003) du même réalisateur. D'abord séduit par les images et amusé par certains gags (notamment le chien qui sert de roue de secours), j'ai terminé le film assez mal à l'aise, submergé par la laideur des visages et des corps qui, me semble-t-il, fascine le cinéaste. S'il conserve le trait caricatural poussé à l'extrême (voir le repoussant ventriloque et son horrible marionnette), L'Illusionniste semble s'accommoder d'un peu de douceur. D'une part, le personnage de Jacques Tatischeff, le magicien has-been prend les traits de … Jacques Tatischeff aka Jacques Tati aka M. Hulot. La gestuelle assez vive et embarrassée du célèbre cinéaste/personnage[1] est reproduite avec bonheur. D'autre part, la jeune pauvresse qui jouera la fille/amoureuse de substitution est douce et naïve ce qui empêche bien évidemment d'en faire un monstre physique. Ces deux personnages principaux entrent parfaitement en interaction.
L'illusionniste reprend le style des films de Tati dans son traitement du langage largement appuyé par le fait que notre héros français se trouve en Ecosse et qu'il maîtrise bien mal la langue de Shakespeare avec un accent de la mort. Pourtant, mais je ne suis pas un spécialiste du réalisateur, il me semble que Jacques Tati rendait quelques mots compréhensibles avec un sens parfois absurde (l'"hélicoptère" de Jour de fête en 1948, et de drôles de dialogues dans Trafic en 1971). Dans ce film, les mots que l'on comprend servent surtout à donner quelques informations. Quand les personnages baragouinent anglais, ils s'expriment dans un langage mélangeant plusieurs langues et Chomet joue surtout sur les sonorités là où Tati jouait sur le volume bas. Cela dit, ce n'est pas un tort mais l'effet m'a relativement laissé de marbre
De plus il me semble aussi que Tati avait un regard particulier sur la jeunesse. Lui, M. Hulot, une sorte d'extra-terrestre ne cessait de jeter un regard incrédule sur l'adolescent ou le jeune adulte lui-même en décalage avec le monde qui l'entoure (là encore je pense clairement à Trafic). Il adoptait le même regard sur la société de consommation en train de naître (Jour de Fête, Playtime en 1967), un regard d'enfant émerveillé, une vraie fascination en rupture avec une France encore rurale, encore un peu vieux jeu mais résolument plus accessible et attendrissante (voir la super voiture camping-car dans Trafic dont le charme naît de son aspect bricolage contrairement aux concepts cars des grandes marques). Chomet ne retient (et il a bien le droit de le faire) que l'aspect montrant que les temps changent avec une petite pointe de "c'est bien triste, ma pauvre dame". Par exemple il foire à mon sens la partie "Le magicien au Grand Magasin," ce point étant d'ailleurs assez rapidement évacué. J'invite le lecteur plus avisé en Tatilogie à émettre un avis plus approprié que le mien.
Le réalisateur prend visiblement beaucoup de plaisir à décrire l'Ecosse et notamment la dichotomie entre les provinces reculées peu accessibles et Edimbourg dont le paysage semble proche des grandes capitales européennes (notamment Paris). Ce plaisir est communicatif et il s’agit sans doute la plus grande réussite de ce film.
Pour finir, le réalisateur ne perd rien de son pessimisme parfois réactionnaire (le groupe de rock efféminé) mais emporte le morceau avec la délicate et mélancolique liaison du magicien avec Alice la petite écossaise qui croit dur comme fer aux pouvoirs magiques de son protecteur. Et la conclusion brillante dans la chambre d'hôtel avec le petit mot "Magicians do not exist" qui mêle l'entrée d'Alice dans le monde des adultes et le fait que le conte de fées s'est tout de même réalisé vient confirmer le sentiment de réussite.
Note de nolan : 3
L'Illusionniste (Sylvain Chomet, 2006)
[1] Dont Sylvain Chomet reprend ici le scénario original.
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