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Stanley Kubrick, thématiques : le langage et la communication (1)

27 Septembre 2010 , Rédigé par Ran Publié dans #Textes divers

Le langage et la communication, leurs procédures, leurs nécessités, leurs incapacités partielles à exprimer des émotions, le langage spécifique du corps,… ; voilà, des thématiques majeures de l’œuvre de Stanley Kubrick qui méritent une analyse approfondie. Introduction de celle-ci à partir d’une séquence-clef de Full Metal Jacket.

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Spécial Stanley Kubrick

 

II] Le langage et la communication

 

 

                       

« HAL 9000 : A propos, vous permettez que je vous pose une question personnelle ?

Dave Bowman : Mais oui, vas-y.

HAL 9000 : Et bien, pardonnez-moi d’être aussi indiscret… Mais durant ces dernières semaines, je me suis demandé si vous n’aviez pas quelque arrière-pensée concernant cette mission.

Dave Bowman : Que veux-tu dire ?

HAL 9000 : Mon impression est assez difficile à préciser. C’est peut-être une manifestation de mon souci de perfection. Je sais que je ne me suis jamais libéré d’un certain sentiment selon lequel cette mission comporte des aspects extrêmement étranges. Vous conviendrez, j’en suis sûr, qu’il y a une part de vérité dans ce sentiment.

Dave Bowman : Je ne sais pas, c’est assez difficile de te répondre. »

  Conversation entre Dave Bowman (Keir Dullea) et le superordinateur HAL 9000 dans 2001, L’Odyssée de l’espace (1968).

 

 

A) Introduction

 

1Rafterman (Kevyn Major Howard), Guignol (Matthew Modine)

et une prostituée vietnamienne (Papillon Soo Soo) dans Full Metal Jacket (1987)

 

Full Metal Jacket (1987) : La séquence que je vais évoquer, pour ouvrir ce texte – le deuxième de mes trois textes thématiques après celui sur l’échec du plan parfait – consacré au langage et à la communication dans le cinéma de Stanley Kubrick, intervient immédiatement après une autre particulièrement marquante (et sanglante) de son œuvre, le meurtre du sergent-instructeur Hartman (Lee Hermey) par l’engagé Leonard Lawrence (Vincent d’Onofrio), dit « Baleine », à la fin du stage de formation de futurs marines dans la base de Parris Island. La césure entre les deux – comme souvent Kubrick marque très franchement le changement de parties dans ses films – a été souligné par un fondu au noir et, après ce moment de tension émotionnelle extrême, on peut espérer une sorte de « pause ». En un sens, ce sera le cas mais l’ouverture de la deuxième partie de Full Metal Jacket est, à mon sens, l’une des clefs de son œuvre. Résonne en musique de fosse la chanson de Nancy Sinatra, « These boots are made for walking »[1], et plusieurs informations sont données au spectateur : nous sommes – enfin puisque le film est commencé depuis trois quarts d’heure – au Vietnam mais non pas au cœur des combats mais dans une grande ville apparemment assez calme (il s’agit de Da Nang). Le haut de l’écran est occupé par d’immenses panneaux publicitaires (dont un pour la bière 33 export) et, par la droite, entre une femme (Papillon Soo Soo) – une prostituée, c’est évident – que l’on suit[2] jusqu’à à une terrasse de café où elle retrouve deux soldats. L’un nous est connu, il s’agit du marine – on a suivi sa formation lors de la première partie – James T. Davis (Matthew Modine), dit « Guignol », qui a choisi la fonction de correspondant de guerre. L’autre, on l’apprendra un peu plus tard, s’appelle Rafterman (Kevyn Major Howard) et s’occupe de faire des photographies pour accompagner les articles de Guignol. Bien vite, dans un très mauvais anglais, la prostituée propose ses services mais, si les deux sont très intéressés, ils n’en négocient pas moins fermement les tarifs de ses prestations. Mais l’embryon de dialogue est interrompu par l’arrivée d’un Vietnamien (Nguyen Hue Phong) qui vole l’appareil photographique de Rafterman. Alors que Rafterman et la prostituée restent interdits, il s’enfuit en mimant, semble-t-il, des gestes de kung-fu et, de l’autre côté du trottoir, Guignol fait de même. Ici s’achève cette séquence et apparemment anodine – un fondu enchainé nous fera ensuite passé dans le camp américain dans lequel vivent alors Guignol et Rafterman – mais en deux minutes à peine, bien des éléments viennent d’être exposés concernant la communication telle qu’elle est envisagée par Stanley Kubrick[3].

 

2Rafterman, Guignol et une prostituée vietnamienne

dans Full Metal Jacket (1987)

 

Reprenons-les donc. Les grands panneaux publicitaires montrent quelle est la nature de l’implantation de la civilisation occidentale au Vietnam[4]. Fondamentalement, celle-ci n’aura su imposer dans les zones qu’elle contrôle que ses produits[5] et ses marques et donc seulement un vague désir de consommation. Voilà ce à quoi se résument les relations – et donc la communication – au sommet entre Vietnam et Etats-Unis. A la base, on retrouve aussi une volonté de consommation qui est d’ordre purement sexuelle[6] mais, à cause de la barrière de la langue, la communication entre Guignol et Rafterman, d’une part, et la prostituée, d’autre part s’avère fort délicate. Néanmoins puisque la finalité engage les corps – qui ont un langage universel – et que des codes (ou des procédures) semblent avoir été établis dans les rapports entre soldats américains et prostituées vietnamiennes depuis le début du conflit[7], un anglais mauvais et minimal s’avère suffisant pour que la négociation puisse avoir lieu. Force est tout de même de constater que la communication entre Américains et Vietnamiens est aussi embryonnaire que l’anglais parlé par la prostituée et, de facto, réduite à sa plus simple expression. Ce qu’illustre encore le fait que soit dérobé par un Vietnamien l’appareil photographique de Rafterman et l’échange qui suit entre Guignol et le voleur qui ne passe que par le seul langage des corps alors que les deux protagonistes sont isolés l’un de l’autre par la route. On a là sans doute la clef de l’échec américain au Vietnam puisque les soldats n’ont pas su se faire admettre de la population et établir, si ce n’est en tentant de susciter une volonté de consommation qui est le ciment des sociétés occidentales, de véritables relations avec celle-ci[8]. Au-delà de cette juste réflexion (l’histoire en aura fourni bien des exemples…) sur la difficulté des armées qui se pensent comme venant libérer des populations mais ne sont perçues par celles-ci que comme des forces d’occupation qui est un aspect propre à Full Metal Jacket (qui reste cependant, à mes yeux, l’œuvre qui synthétise le mieux la pensée de son auteur), est présentée dans cette séquence la vision relativement noire des rapports humains d’un Stanley Kubrick dont on retrouve tout le pessimisme ontologique. Mais c’est aussi tout son intérêt pour le langage, ses procédures et la communication en général (qui s’avère donc très souvent  difficile sinon impossible) qui apparaît. Les idées de l’isolation – que la communication ne permet que partiellement de rompre – et surtout d’un langage universel des corps y sont également présentes. Aussi est-elle bien fondamentale dans le cinéma de Stanley Kubrick, celui-ci ne cessant de revenir dans son œuvre sur ces différentes thématiques, toutes liées au langage et à la communication. C’est donc l’objet de ce texte qui va revenir sur ces différents points à travers les films les plus importants (à mon sens) du metteur en scène.


3Ran
  Langage et communication : Film par film (1)

[1] Il s’agit donc d’une chanson plutôt enlevée et gaie – qui a été interprétée comme symbolique d’une certaine émancipation féminine (alors qu’intervient, dans cette séquence, une prostituée…) et date de 1966 (elle est donc contemporaine des événements relatés par Full Metal Jacket, l’offensive du Têt ayant eu lieu le 30 janvier 1968) – ce qui souligne donc la rupture avec la fin de la partie précédente. Nul besoin de préciser que le choix de la chanson est tout-à-fait judicieux et son utilisation absolument parfaite.

[2] Et on la suit – et ce sans faire montre d’une particulière obsession sexuelle – à partir de ses fesses car celles-ci occupent bien vite le centre de l’écran.

[3] Et, on le verra dans les textes suivants, cette « vision » de la communication – et des rapports humains – se retrouve de film en film et non dans le seul Full Metal Jacket.

[4] On retrouvera ceux-ci plus loin dans le film puisque, dans les villes en ruines que traverseront les soldats américains, subsisteront des restes (parfaitement identifiables) de telles affiches.

[5] Dans cette logique d’incrémentation au Vietnam de la civilisation occidentale par la consommation, on remarquera également que l’on voit passer, dans cette même séquence, de nombreuses voitures et on peut notamment clairement distinguer une Renault quatre chevaux.

[6] On remarque donc qu’il y a, dans Full Metal Jacket, une certaine perspective marxisante – comme, de manière bien plus évidente encore, dans Barry Lyndon (1975 ) et Eyes Wide Shut (1999 ).

[7] Cela sera attesté par le fait que la négociation des tarifs (exactement les mêmes d’ailleurs) d’une autre prostituée (Leanne Hong) – amenée à moto dans un camp américain – aura lieu un peu plus tard dans le film. La situation se répète donc et on peut dès lors être sûr qu’une procédure a été établie pour ce type de commerce.

[8] Rafterman, personnage porteur d’une grande naïveté – et très « formaté » par la propagande américaine –, s’en étonnera d’ailleurs dès la séquence suivante en disant à Guignol : « On aide ces gens et ils nous pissent à la raie ». Ce dernier, apparemment plus cynique et certainement plus réaliste, lui répondra : « T’excites pas Rafterman, c’est que du business ».

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H
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