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Désirs Humains : La femme-piège

3 Août 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Retour de Bribes et Fragments, rubrique en congés sans solde pendant quelques semaines et qui repart en vacances avec tout le blog pour la fin aout. Retour de Fritz Lang sur De son coeur, pour un opus mineur dans la filmographie du cinéaste mais qui mérite qu'on s'y attarde un peu.nolan

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Bribes et fragments

 

DÇsirs humainsDésirs humains(1954)


La femme-piègeFritz Lang n’aimait guère Désirs humains. On peut le comprendre. Le film ne figure pas parmi ses (nombreux) chefs-d’œuvre. Son titre, déjà, sonnait faux, opposant sans vraie réflexion le désir (« Vous avez déjà entendu parler d’un autre type de désir [que celui humain] ? » disait-il à Peter Bogdanovich) à l’amour. Et puis, il y avait le reste, tout le reste. Pour la seconde fois de sa carrière américaine, il se confrontait au Renoir des années 30. A la première tentative, il avait brillamment relevé le gant et sa Rue rouge pouvait faire oublier La Chienne. Ici, les stupides exigences de la censure impliquèrent que le héros perde de son relief, qu’il ne soit ni alcoolique, ni frappé par une lourde hérédité, que Désirs humains, donc, ne soutienne pas la comparaison avec La Bête humaine. Professionnel et de plus en plus en désaccord avec le système de valeurs américaines (celui-là même qui lui bousillait sa nouvelle œuvre), Lang sauva ce qui pouvait l’être. Il signa un bon film noir, impulsant, comme toujours, un rythme particulièrement vif. Se concentra sur les monstres ferroviaires et les rails pour traduire habilement la déshumanisation du monde. L’incarna, avec son personnage principal, le pâle Jeff Warren (Glenn Ford, loin de sa composition ‘‘stewartienne’’ de  Règlement de comptes), laissant la fille de son meilleur ami (Edgar Buchanan) lui asséner, entre deux larmes, une morale inepte1, mais le montrant repousser froidement, au nom d’une idée toute sociale de la Justice, cette Vicky Buckley (Gloria Grahame) dont il partageait, pour satisfaire ses pulsions, le lit. Par ce geste mécanique, faussement empreint de raison, il annonce celui final de Susan Spencer dans  L’Invraisemblable Vérité. Désirs humainsfait ainsi le pont entre l’exceptionnel Règlement de comptes, au même couple de vedettes, et les deux derniers opus américains du cinéaste (La Cinquième Victimeet L’Invraisemblable Vérité). C’est une pierre importante dans un parcours crépusculaire, critique et génial. Cela ne suffit pas à en faire un film majeur, cela lui confère, tout de même, un intérêt certain.

Le principal, pourtant, est ailleurs. Il réside, tout entier, dans le personnage de Gloria Grahame. Mais, bien qu’elle fût superbe dans Règlement de comptes, Lang ne voulait pas de cette actrice la jugeant capricieuse et ingérable. Aussi ne lui accorde-t-il qu’une trop faible part de son intérêt. Dommage car sa fragilité apporte beaucoup à Vicky. Celle-ci sera, successivement ou concomitamment, victime de trois hommes – John Owens (Grandon Rhodes), son mari Carl (Broderick Crawford) et Jeff – violents et niant son individualité. Chacun à leur manière. Pour se défendre, elle ne possède que la parole. Vicky ne dit jamais la vérité, ne ment jamais vraiment. Elle ne cesse de raconter des histoires – son histoire, en fait – omettant des détails décisifs, ajoutant quelques interprétations et précisions (volontairement ?) erronées. Elle s’approche alors du canon de la femme fatale mais ne fait, in fine, que se protéger, piégeant de dangereux lourdauds et tentant d’échapper à son destin. Succès limité : son drame ménager se transforme, en bout de course, en banale tragédie. Doit-on, pour autant, avoir quelque sympathie pour elle ? N’ayons pas la naïveté de considérer sa partielle insincérité comme le seul fruit de la nécessité. Lang, toutefois, en la condamnant sans même lui laisser le bénéfice de circonstances atténuantes, en ajoutant, presque logiquement, une évidente misogynie à son éclatante misanthropie, commet peut-être une erreur. Rien n’indique, non plus, que Vicky agisse par nature. Sans plus d’éléments à ma disposition, je suis tenté de qualifier son comportement de cynique par expérience. Humaine, trop humaine et, surtout, femme-piège par excellence qui aura réussi à mystifier le plus grand des réalisateurs.

 

Antoine Rensonnet

 

 


1 « Je ne connais pas bien ce genre d’amour où l’on se fait du mal. Je crois que ça ne m’intéresse pas. Mais je sais qu’il existe un autre amour. »

 

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A
<br /> Oui, il ne tient guère la comparaison face à ces deux films et le projet lui-même ne la tenait pas d'où, je pense, un relatif manque d'implication du réalisateur.<br /> <br /> <br /> Mais, comme souvent, il n'est pas inintéressant de le replacer dans l'évolution d'une (telle) carrière et le personnage de Gloria Grahame est fort intéressant.<br />
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E
<br /> Je m'en souviens assez mal mais j'avais eu le même sentiment que toi : un Lang mineur, inférieur à la fois à La bête humaine et à La rue rouge...<br />
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