Inception par Ran
C’est peu dire que ce film était attendu. Avec Inception, Christopher Nolan allait prouver qu’il appartenait définitivement aux très grands réalisateurs contemporains. Mais, malgré un visuel impressionnant qui sauve un peu le film, le pari se termine plutôt sur un constat d’échec. Dommage…
-----------------------------------------------------------------------------------------------
Dom Cobb (Leonardo DiCaprio)
Question : un blockbuster (ou une superproduction) peut-il être un grand film ? Depuis des lustres (Griffith ?), on connaît la réponse et l’on sait que la distinction entre cinéma de genre et cinéma d’auteur, par exemple, ne repose sur rien de sérieux. Tout juste peut-on dire que le cinéma est un art qui demande toujours des moyens financiers importants et que certains auteurs (Steven Spielberg par exemple) ont besoin de sommes souvent démentielles pour exprimer leur talent quand d’autres (Eric Rohmer au hasard) peuvent se contenter de budgets plus limités. Mais c’est pourtant sur l’idée que le nouveau film de Christopher Nolan allait, enfin, apporter une réponse positive à cette question que battage médiatique a été orchestré par les producteurs. Autant dire que, si le débat est, pour le cinéma, complètement oiseux, l’enjeu pour le réalisateur est réel. En effet, Nolan, célèbre depuis Memento (2000 ; toujours pas vu) et totalement starifié par le succès de The Dark Knight (2008), film aux grandes qualités et aux lourds défauts, doit montrer qu’il appartient désormais aux grands de son art. Aussi Inception, porté par la présence de Leonardo DiCaprio (spécialiste du blockbuster de qualité avec Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg en 2002 et ses multiples collaborations avec Martin Scorsese[1]) au générique, est-il très attendu (et tout particulièrement par mon acolyte à l’explicite pseudonyme dont la critique sera publiée samedi 31 juillet).
Alors ? Cela part plutôt bien avec un pitch très science-fiction monté autour du fait que l’on peut désormais, via d’étranges machines, pénétrer dans les rêves des autres ce qui permet notamment l’extraction de leurs secrets. On se dit alors que le film va lorgner du côté d’eXistenZ (David Cronenberg, 1999), de 2046 (Wong Kar Wai, 2004) ou d’univers à la David Lynch, voire à la Federico Fellini c’est-à-dire des mondes dans lesquels s’entremêlent réalité et virtualités ce qui impose au spectateur un égarement souvent poétique et au réalisateur une réflexion sur le cinéma et notamment, à travers la mise en scène d’espaces fantasmés, entre réel diégétique et réel cinématographique. Bref, les références sont excellentes même si Nolan ne choisira que de faire une citation explicite. En effet, une conversation entre Dom Cobb (Leonardo DiCaprio) et Robert Fischer Jr. (Cillian Murphy) dans les toilettes d’un hôtel rappelle inévitablement les hallucinations de Jack Torrance (Jack Nicholson) dans l’hôtel Overlook de Shining (Stanley Kubrick, 1980)[2]. Mais, très vite, cela se gâte. Alors que l’on pouvait espérer une œuvre mélangeant thriller et science-fiction, on a droit au montage d’un plan parfait pour insérer – la fameuse inception qui donne son titre au film – (et non extraire) une idée (dont le film explique que c’est ce qu’il y a de plus solide) dans le cerveau de l’héritier d’un riche empire industriel, Robert Fischer Jr., celle de le démanteler à la mort de son père (Pete Postlethwaite) pour le plus grand profit de son principal concurrent, Saito (Ken Watanabe), instigateur de toute l’affaire. On se retrouve alors dans une sorte de film de casse à la Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001), mais en beaucoup moins charmant et détendu, avec une fine équipe dans laquelle chacun a un rôle précis et campe un caractère assez archétypal. Ajoutons tout de même que le leader (Leonardo DiCaprio donc) a de gros problèmes – qui pourraient faire échouer le coup – avec une idée fixe (sa femme – Marion Cotillard – morte) et un espace dans lequel il ne peut pénétrer (les Etats-Unis où se trouvent ses enfants). Aussi sa situation personnelle le relie-t-elle directement aux thématiques du film.
Mais le plus gros problème reste que le travail sur les espaces réel et mentaux créés dans le film est sans grand intérêt. Tout est très bien expliqué et chaque espace est par trop différencié pour que le spectateur – même s’il ne comprend certes pas tout – éprouve le moindre sentiment de perte. Toujours il bénéficie de solides repères entre la réalité et les trois (puis quatre) strates de rêves et jamais il ne se laisse aller à une forme d’abandon poétique. Notons encore que la surexplicitation implique un autre écueil puisque le film est encombré de tunnels narratifs qui lui font souvent perdre en rythme (notamment pendant sa première moitié). Quant à la réflexion métaphysique sur le fait que l’on ne se soit jamais sûr d’être dans la réalité, mieux vaut ne pas s’y arrêter tant elle est bâclée et manque totalement de crédibilité. Reste le visuel : celui-ci sauve partiellement le film tant il est impressionnant, très impressionnant même. Et malgré l’absence de réflexion sur l’espace, on apprécie plastiquement les différents niveaux du rêve. Sans aucun doute le meilleur est-il le deuxième, un hôtel aux escaliers paradoxaux et où l’on se retrouve bien vite en état d’apesanteur, dans lequel le bras droit de Dom Cobb, Arthur (Joseph Gordon-Levitt), est resté coincé. Aussi le film n’est-il pas un échec total et se laisse-t-il agréablement regarder au cours de ces quelques deux heures et demie.
Mais au final, Christopher Nolan a largement échoué dans son pari. Et lorsqu’un personnage, Eames (Tom Hardy), dit que, dans le rêve, il ne faut pas manquer d’imagination, on ne peut s’empêcher de penser que c’est ce qui faisait sans doute le plus défaut à un Christopher Nolan bien trop sage pour être aujourd’hui autre chose qu’un bon réalisateur de blockbuster. Aussi puisque Inception rime tout de même avec déception, un conseil pour ceux qui aiment Leonardo DiCaprio (même si, entre les deux films, il s’est visiblement astreint à un solide et nécessaire régime) et les espaces mentaux torturés, allez voir ou revoir Shutter Island.
Ran
Note de Ran : 2
Arthur (Joseph Gordon-Levitt)
Post Scriptum : Au détour du générique, on apprend que le responsable des guitares du film n’est autre que Johnny Marr. A moins qu’il ne s’agisse d’un homonyme (ce qui paraît bien improbable), on est ravi que l’ex-guitariste des Smiths, auteur de l’imparable riff de Bighmouth strikes again (sur l’album The Queen Is Dead en 1986) se porte bien.
Commenter cet article