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L’Ultime Razzia

5 Septembre 2010 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Critiques de films anciens

Troisième œuvre, deuxième film noir et premier sommet de la carrière du jeune Stanley Kubrick. Soit L’Ultime Razzia avec sa mise en scène déjà extraordinaire et sa mécanique implacable pour narrer, pour le première fois, l’échec d’un plan parfait. Un thème qui très souvent reviendra.

 

           

Affiche Ultime Razzia

Affiche de L’Ultime Razzia

 

Troisième long-métrage de Stanley Kubrick après Fear and Desire (1953) et Le Baiser du tueur (1955), L’Ultime Razzia (1956) est sa deuxième incursion dans le genre du film noir après son immédiat prédécesseur. Il s’agit là d’ailleurs d’un pur film noir de seconde génération très inspiré par le chef d’œuvre de John Huston (l’un des grands maîtres de Stanley Kubrick), Quand la ville dort (1950) dont il reprend largement la trame narrative et certaines des thématiques alors que l’acteur principal, Sterling Hayden, est le même dans les deux films. Ainsi une bande de cinq escrocs de seconde zone – Johnny Clay (Sterling Hayden donc, excellent et que Kubrick retrouvera avec grand bonheur dans Docteur Folamour en 1964), Marvin Hunger (Jay C. Flippen), George Peatty (Elisha Cook Junior), Randy Kennan (Ted de Corsia) et Mike O’Reilly (Joe Sawyer) – rêve du coup du siècle (ici voler l’argent gagné durant toute une journée sur un champ de coup de chevaux), réussira (apparemment) son coup avant que, pour de petits détails, la machine ne vienne irrémédiablement se gripper et que sous le coup d’un destin contraire l’échec total ne soit au rendez-vous. On retrouve là la dynamique sociale propre au film noir puisqu’il s’agit pour les héros de vivre leur part du rêve américain – ce qui implique forcément de gagner énormément d’argent – et tous sont plutôt sympathiques car dotés d’un véritable sens de l’honneur et de l’amitié[1].

 

S’il est un peu inférieur aux plus grands chefs d’œuvre du film noir en général et au film de Huston en particulier (notamment en raison d’une réflexion sociale moins intéressante et de quelques effets un peu trop appuyés), L’Ultime Razzia n’en est pas moins un excellent film que l’on regarde avec un très grand plaisir. Il s’agit en effet d’une véritable leçon de mise en scène (et après Le Baiser du tueur, Kubrick y confirme son talent pour travailler la lumière) appuyée sur un scénario extrêmement malin et très efficace avec ses nombreux flashbacks. Ainsi le réalisateur se permet-il de montrer la même scène sous différents angles ou de jouer avec le son (certaines informations ne cessant d’être répétées[2], nous signifiant par la-même que l’on se situe au même moment, alors que l’action est située à différents endroits). Ainsi le suspense ne cesse-t-il de monter tout au long du film alors que Kubrick se plaît à tirer ses fils les uns après les autres (que de plaisir à voir cette belle mécanique se mettre progressivement en place…). On admirera d’ailleurs tout particulièrement l’exposition du film durant laquelle, une semaine avant le casse, chacun des protagonistes est présenté successivement par une voix off (dont – déjà – le réalisateur fait un usage remarquable). Bref, le rythme, la qualité plastique et sonore et surtout la maîtrise narrative suffisent à faire de L’Ultime Razzia un grand film.

 

Johnny Clay sous son masque

Johnny Clay (Sterling Hayden) sous son masque

 

De plus le troisième opus de Stanley Kubrick est une pierre importante dans l’œuvre de celui qui comptera bientôt parmi les plus grands cinéastes de son temps et ce pour deux raisons. D’une part, avec ce film, Kubrick est désormais dans l’antichambre des grands réalisateurs hollywoodiens et, à l’inverse du Baiser du tueur (qui dure à peine plus d’une heure), L’Ultime Razzia n’est pas un film de série B et bénéficie d’une presque star à son générique. L’objectif du cinéaste est bien de conquérir définitivement une place importante au sein du système hollywoodien. Il réussira pleinement puisqu’il signera peu après, avec Kirk Douglas (une vedette absolue cette fois-ci) dans les rôles principaux, Les Sentiers de la gloire (1958 ; ce film étant souvent considéré comme le premier chef d’œuvre absolu de Kubrick ; avis que je partage largement même si j’ai de très légères réticences concernant ce grand film) puis Spartacus (1960)[3].

D’autre part se font jour quelques éléments clés de l’œuvre future de l’auteur. On a déjà évoqué plus haut le travail sur le son et la lumière. Il faut également noter que le film est découpé en cinq grands blocs parfaitement identifiables (l’exposition ; la suite des préparatifs ; les actions préparatoires et de diversion le jour du casse ; le casse réussi ; l’après-casse et l’échec total) et que nombre de films ultérieurs reprendront cette structure à « exosquelette » comme l’écrit Michel Chion[4]. On remarquera également que lors du casse Johnny Clay revêt un masque (et on retrouvera dans Orange Mécanique en 1971 et Eyes Wide Shut en 1999) alors que George Peatty a, en certains moments, du film une tête horriblement déformée (et donc très expressive) comme c’est le cas d’Alex (Malcolm McDowell) dans Orange Mécanique, de Jack Torrance (Jack Nicholson) dans Shining (1980) ou de Léonard Lawrence (Vincent d’Onofrio) dans Full Metal Jacket (1987). Surtout apparaissent quelques thématiques maîtresses de l’œuvre kubrickienne. Non pas tant celle de la violence – sa grande réflexion qui culminera avec Full Metal Jacket[5]. Par contre, le thème de la communication est bien présent dans L’Ultime Razzia puisque l’échec tient partiellement à un défaut dans celle-ci car le plan reposait sur la nécessité de se taire et de ne jamais trop en savoir[6]. Mais le thème kubrickien majeur qui apparaît complètement dans L’Ultime Razzia, c’est bien sûr celui du plan parfait qui échoue (le casse minutieusement préparé) à cause d’une légère faute humaine – ici la présence d’un maillon faible, George Peatty, qui a parlé à sa femme Stella (Marie Windsor) qui ne l’aime pas et s’empresse de tout révéler à son amant Val Cannon (Vince Edwards) ce qui provoquera le drame final – et qui reviendra sans cesse dans  son œuvre (Docteur Folamour ; 2001, L’Odyssée de l’espace – 1968 – ; Orange Mécanique ; Full Metal Jacket).

Il y a donc deux très bonnes raisons de regarder sans tarder, pour ceux qui ne l’auraient pas fait, L’Ultime Razzia. Tout d’abord, il s’agit d’un excellent film. Ensuite, c’est un jalon important (à défaut d’être absolument décisif) dans l’œuvre de l’un des plus grands cinéastes du XXe siècle. En tout cas, même s’il ne faut pas négliger Le Baiser du tueur (qui est une œuvre plus qu’honnête et intéressante mais qui serait sans doute oubliée si elle n’était pas signée Stanley Kubrick), L’Ultime Razzia est sans aucun doute le premier sommet de la carrière de son auteur.

 

La reunion de la bande

La réunion de la bande (au centre, Johnny Clay)

 

Ran

 

Note de Ran : 4

 

L’Ultime Razzia (Stanley Kubrick, 1956) 

[1] De plus, leur coup n’implique aucun meurtre (si ce n’est celui d’un cheval pour faire diversion) et le spectateur ne peut manquer de ressentir une grande empathie pour ces anti-héros qu’il sait condamnés d’avance.

[2] Combien de fois entendra-t-on que la septième course – celle durant laquelle aura lieu le casse – va démarrer (il est 16 heures et le film est gorgé de références temporelles), qu’elle se courre sur 1500 mètres et qu’elle est dotée d’un prix de 100000 dollars ?

[3] Certes, dès le début des années 1960, s’écroulera le système des grands studios hollywoodiens mais Stanley Kubrick n’en restera pas moins l’un des quelques réalisateurs qui s’est imposé – il n’est pas le seul ; songeons, par exemple, à Robert Aldrich – dans la dernière époque de l’âge d’or hollywoodien ; cela lui servira pour faire la carrière qu’on lui connaît, parsemée de tant de films immenses (même s’ils sont peu nombreux) – en étant peut-être le plus libre de tous les grands auteurs – à partir des années 1960.

[4] Dans son livre, Kubrick, L’Humain, ni plus, ni moins, Paris, Cahiers du cinéma, 2005.

[5] Voir mon texte sur ce film publié dans « Un auteur, une œuvre » ainsi que les deux textes consacrés à Barry Lyndon (1975) publiés dans « textes divers ». Concernant L’Ultime Razzia, on peut toujours parler de la violence de l’Etat ou de la société comparée à celle des individus (et donc du bien et du mal ou de la morale) mais cela reste très relatif (contrairement à ce que montre Quand la ville dort) ; en fait, le film est surtout l’histoire de  personnes qui n’ont pas de chance et sont marqués par un destin contraire. On reste tout de même essentiellement, dans la logique d’un genre, le film noir, plutôt que dans la réflexion propre à un auteur encore jeune et qui mettra bien du temps à complètement se solidifier (même s’il y a un peu de violence à la fin du film – avec de nombreux morts –, cela n’en constitue pas le fond).

[6] Ce qui renvoie d’ailleurs à la position du spectateur pendant le film auquel les différents éléments du plan ne sont distillés que petit à petit.

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R
C'est vrai que dans ce film Kubrick parvient parfaitement à casser nos repères chronologiques avec beaucoup de retours en arrière et de developpement de points de vue différents. Et on sent déjà ici avec ce troisième film seulement beaucoup de virtuosité.
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